*P.441
Âge du modèle : 30 ans
Huile sur toile
H. 79 ; L. 62.
Perpignan, musée Hyacinthe Rigaud (numéro d'inventaire en cours)
Daté et signé : « Gaspard Rigaud peint par Hyacinthe Rigaud / son frère ayné 1691 »
Historique :
Salon de 1704 (« M[onsieur] Rigault le jeune ») ; coll. Rigaud ; legs. à Marguerite Élisabeth Ranc, 1743 ; IAD Rigaud 1744, n° 361 ; coll. Hyacinthe Joseph Ranc dès Vitimes (1722-1790) et Catherine de Morard de Galle ; coll. Soldini ; coll. Boutin ; coll. David von Schinkel (1743-1807), traducteur de Bernadotte, futur roi de Suède ; par descendante au Tidö Slott ; Suisse, collection privée (1977-2015) ; Montreux-Lausanne, galerie Reymondin (avril 2016) ; acquit en juin 2016 par le musée Rigaud.
Bibliographie :
Guiffrey, 1869, p 40 [inconnu et non localisé] ; Gallenkamp, 1956, p. 177 [inconnu et non localisé] ; Macé de l’Épinay, 1971, p. 94 ; Colomer, 1973, p. 150 [inconnu et non localisé] ; James-Sarazin, 2009/1, p. 114 [inconnu et non localisé] ; Brême & Lanoe, 2013, p. 80 [inconnu et non localisé] ; Perreau, 2013, cat. *P.441, p. 118 [inconnu et non localisé] ; Perreau, « Rigaud par Rigaud ou le portrait de Gaspard Rigaud retrouvé », [en ligne] www.hyacinthe-rigaud.over-blog.com, 16 mars 2016 ; Perreau, 2016, p. 24, fig. 20 ; James-Sarazin, 2016, II, cat. PS.2, p. 649 ; Perreau, 2020, cat. 9, p. 58-61.
Il est de ces visages d’artistes auxquels le chercheur s’était résolu, avec le temps, ne pouvoir donner d’image. Gaspard Rigaud (1661-1705), frère du grand Hyacinthe était de ceux-là. À quoi ressemblait-il ? Posait-il, lui aussi, avec ses attributs de la peinture ? Portait-il un turban comme son frère ? Toisait-il le spectateur ? Autant de questions restées sans réponses jusqu’en 2015 et qui désolaient déjà François Macé de Lépinay qui publia la première véritable étude sur Gaspard en 1972[1].
Comme un chaînon manquant dans la galerie des portraits familiaux, on savait pourtant qu’il avait été peint, sans doute par lui-même, mais surtout par son aîné qui en exposa les traits au grand Salon de 1704, aux côtés de son propre autoportrait dit « au turban » (Perpignan, musée Rigaud) et des deux portraits de sa mère, l’un en ovale (château de Fontaine-Henry), l’autre contenant deux profils (Paris, musée du Louvre). Non exposé, mais peint à la même époque (1695) le portrait de la famille de la sœur de Hyacinthe et Gaspard, Clara Rigau-Lafitta, sœur des artistes, complète aujourd’hui cette galerie.
On savait également que Hyacinthe avait gardé l’effigie de son frère auprès de lui, jusqu’à sa mort comme le montrait l’inventaire après le décès du peintre : « n°361. Item deux tableaux quarrés dans leurs bordures dorées qui sont l’un un Portrait dudit feu sieur Rigaud peint par luy même et l’autre le Portrait du feu sieur Gaspard Rigaud son frère, père de ladite dame Ranc aussy peint par luy, lesquels deux tableaux comme portraits de famille n’ont esté ny numérotés ny estimés et le présent article tiré pour mémoire »[2]. Le tableau avait été légué par testament à sa nièce Marguerite-Élisabeth Rigaud, devenue épouse du peintre Jean Ranc en 1715. Le 16 janvier 1744, la fille aînée de Gaspard, veuve depuis 1735, déposa depuis Madrid où elle vivait encore une procuration « en langue espagnole » devant Antoine Gaspard Feliciano Garcia notaire, donnant pouvoir à Jean-Baptiste Hersan, maître de la garde-robe de Philippe V, lors à Paris, de retirer son héritage[3]. Suivant la quittance n° 23 établie par maître François de Langlard le 21 décembre on remit donc à Jean-Baptiste Hersan « deux tableaux peints sur toile dans leurs bordures dorées qui sont, un portrait dudit feu sieur Rigaud peint par luy même et l’autre le portrait du feu sieur Gaspard Rigaud son frère, père de ladite dame Ranc, aussy peint par luy »[4]. Le 30 décembre, Madame Ranc les récupéra enfin à son arrivée à Paris où elle s’établira, rue des Grands Augustins. Conservé jusqu’à sa mort de cette dernière en 1772, la trace du portrait se perd ensuite dans les temps troublés de la Révolution, probablement récupérés par l’un des deux derniers enfants vivants de Ranc, Hyacinthe Joseph Ranc (1722-1784) ou Marguerite Antoine (1729-1801). Il semble avoir été acquis au tout début du XIXe siècle par un baron suédois puis par les descendants de ce dernier jusqu’à nos jours.
Ce n’est donc pas sans émotion que nous avons pu découvrir ce tableau dès l'automne 2015. Demeuré dans la même collection suédoise depuis le XIXe siècle, il avait été proposé par le biais de la galerie Colatalem à un collectionneur privé du sud de la France qui nous a fait l'amitié de nous le signaler. En contact avec le propriétaire privé suisse dès la fin de l'année, nous avions pu constater l'extrême qualité du portrait par le biais d'une photo de très bonne qualité avant qu'il ne soit finalement proposé à la galerie Michel Reymondin (que nous remercions pour son aimable accueil) et qui le vendit au musée Rigaud.
Étonnamment, la posture nous sembla familière, jetant un air de déjà vu qui nous ramenait non seulement au portrait du peintre Charles de La Fosse, élaboré dès 1682, mais aussi à un portrait d’homme resté non identifié, acquis par la galerie Mendès en 2009 après avoir été vendu à Drouot par Enchères Rive gauche en 2005[5]. On y voyait la même posture, en buste, de face, sur un fond neutre, les épaules tournées vers la gauche, le visage et le regard tournés vers la droite. Malgré une perruque haute à « cheminée » déjà tardive, nous avions proposé pour « l’homme inconnu », une datation prudente entre 1695 et 1705, connaissant le goût d’Hyacinthe pour les longs intervalles de remploi de certaines postures. Or, on voyait dans le portrait de Gaspard, l’exacte reproduction d’un vêtement dont les moindres inflexions de lumière étaient copiées avec une grande fidélité. Du col de la chemise ouverte au grand drapé du manteau s’ouvrant dans le bas à droite, tout était similaire. Finalement, seuls la perruque et le fond fond différaient chez Gaspard : la première, vaporeuse et encore basse était plus en accord avec le style des années 1690 ; le second, montrait un châssis posé sur un chevalet, seule indication de la fonction du modèle. Il aurait été difficile d’affirmer qui avait été peint avant qui si une indubitable signature autographe n’était venue confirmer que le portrait du frère de Rigaud n’avait été peint en premier.
[1] « Un peintre méconnu : Gaspard Rigaud, frère de Hyacinthe. Quatre portraits retrouvés », Bulletin de la Société de l’Histoire français, Paris, 1971-1972, p. 91-101.
[2] Inventaire après décès de Rigaud, fol. 48).
[3] Madrid, archivo del Protocolo, 164342 ; Paris, arch. nat. MC, LXXIX, 44.
[4] Paris, archives Nationales, minutier central des notaires parisiens, étude LXXIX/44.
[5] Perreau, 2013, cat. P.910, p. 197.