P.227
Âge du modèle : 33 ans
Huile sur toile ovale
H. 77,5 ; L. 65 cm
Paris, collection privée
Sign. v° : « fait par Hyacinthe Rigaud 1691 ».
Historique :
Paiement inscrit aux livres de comptes en 1691 pour 211 livres et 10 sols (ms. 624, f° 6 : « Mons[ieu]r le colonel Greder ») ; Suisse, Collection particulière ; vente Fischer, Lucerne, 20 novembre 2013, lot. 1044 (=militaire) ; Paris, collection particulière.
Bibliographie :
Roman, 1919, p. 25 ; Vallière, 1940, p. 429 ; Perreau, 2013, cat. *P.227, p. 90 [non localisé] ; Stéphan Perreau, « Franz Laurenz Greder, un nouveau Suisse croqué par Rigaud », en ligne, www.hyacinthe-rigaud.over-blog.com, 14 février 2014 ; James-Sarazin, 2016, II [dissociation entre le modèle (cat. *P.229, p. 82 et 2003/2, cat. I, n°196) et le tableau en collection privée (cat. P.268, p. 95 ; omission de notre article de 2014 dans la bibliographie de la notice)].
Descriptif :
Surnommé « le Laurentin », Franz Lorenz dit « François-Laurent » von Greder (1658-1716) fut l’un de ces militaires étrangers qui servirent avec courage dans les armées de Louis XIV, lors des guerres de la Ligue d’Ausburg et de la Succession d’Espagne. Fils aîné de Wolfgang II Greder (1632-1691) et de sa seconde épouse, Maria Franziska von Stäffis-Mollondin (1674-1743), Franz Laurenz naquit à Soleure le 1er janvier 1658. Très tôt au service du roi de France, le jeune homme débuta à 21 ans comme lieutenant de la compagnie du Régiment Suisse de son père. Le 13 décembre de cette même année 1679, on lui confia une compagnie au sein du même corps dont il devint également major dès 1686. Remarqué par Versailles, « François Laurent » fut alors nommé à la tête du régiment de Fürstemberg Infanterie Allemande (Anhalt) qu’il gardera jusqu’à sa mort. Créé brigadier le 25 avril 1691 (ce que commémore très probablement son portrait par Rigaud), il fut fait chevalier de l’ordre militaire de Saint Louis le 8 février 1694. Maréchal de camp (3 janvier 1696), lieutenant général (26 octobre 1704), Greder « s’étoit acquis une grande réputation par ses longs services & les différens commandemens dont il avoit été chargé. Il avoit été blessé aux batailles de Mont-Cassel, & de Fleurus, avoit été employé comme Brigadier en 1692 dans l’Armée du Dauphin en Flandres, en 1693 dans le corps des troupes commandé par le Marquis de Bousiers, lieutenant Général, & ensuite dans l’Armée du Dauphin en Flandres, en 1694 dans la même armée, en 1695 dans celle du Maréchal de Villeroy en Flandres, & en 1696 comme Maréchal de Camp dans la même armée, il servit en ceste qualité au siège d’Ath, en 1701 dans l’Armée de Bousiers en Flandres, en 1702 dans l’Armée du Duc de Vendôme en Italie, en 1703 & 1704 est Flandres, & comme Lieutenant-Général les années suivantes » (Beat Fidele Antoine Jean Dominique Baron de La Tour-Chatillon Zurlauben, Histoire militaire des Suisses au service de la France, vol. 3, Paris, Desaint, 1751, p. 16-18).
Franz Laurenz sollicitera à nouveau l’artiste en 1705, pour un second portrait en « habillement répété » largement inspiré de modèles contemporains qui remportaient alors un vif succès. Le portrait, anciennement au château d’Auvernier à Neuenburg, orne aujourd’hui le trumeau de la cheminée du salon rouge du musée Blumenstein de Soleure (ancienne demeure de plaisance des Mollondin) et nous offre ainsi d’utiles éléments comparatifs sur la morphologie du modèle. On retrouve ici la face assurée du même homme, de la moindre inflexion du sourcil à l’acuité du regard, déjà présents quelque quinze ans plus tôt. Rigaud s’y fait plus subtil encore. Le moindre coup de pinceau, un reflet, un passage, un réveillon, ne se trouva jamais placé sans qu’il ne pût en rendre compte, à l’exemple de la pointe de blanc apposée dans l’iris de l’œil.
Nombreux sont les clients suisses ayant sollicité le portraitiste catalan dont la renommée dépassait allègrement les frontières du royaume. Les Chambrier, les Keller, les Du Buisson, les Monier, les Lullin, les Cherrier, les Thelusson ainsi que la célèbre duchesse de Neumours rejoignent ainsi les bancs des modèles helvétiques de Rigaud. À cette liste on ajoutera deux des frères de Franz Lorenz, Hans-Ludwig dit « Louis » (1659-1703) peint dès 1691 et Balthazar (1667-1714) l’année suivante. Franz Laurenz von Greder pour sa part particulièrement apprécié de Louis XIV. À sa mort, le 16 Juillet 1716 aux Eaux de Bourbonne, Saint-Simon témoigna de l’estime dans laquelle il était considéré : « Greder, lieutenant général fort estimé, mourut aux eaux de Bourbonne. Il avait un régiment allemand qui lui valait beaucoup, et qui fut donné au neveu du baron Spaar, qui avait longtemps servi en France, qui y fut depuis ambassadeur de Suède, et qui y est mort sénateur, toujours le cœur français, un des plus galants hommes et des mieux faits qu’on pût voir, avec l’air le plus doux et le plus militaire » (Mémoires, 1716, XIV, 1). Dans ses Rêveries, le pétulant maréchal de Saxe, autre modèle de Rigaud en 1740, dressa quant à lui un court portrait du fameux militaire Suisse :
« Feu monsieur de greder, homme de réputation, & qui a longtems commandé le régiment d’infanterie que j’ai en France, avoit toujours pour méthode de faire porter le mousquet sur l’épaule dans les affaires : & pour être encore plus maître du feu, il ne faisoit point compasser les mêches, marchoit ainsi aux ennemis, & dans l’instant qu’ils commençoient à tirer, il se jettoit devant les drapeaux, l’épée à la main, & crioit, à moi ; cela a toujours réussi : c’est ainsi qu’il défit les gardes de Frise à la bataille de Fleurus [1er juillet 1690] » (chapitre I, article VI, p. 43, 44).