Avant propos
L'histoire qui suit a pour sujet la rencontre et la romance de l'artiste avec sa future épouse, Marie Jacqueline Fabre (Paris, 1717 - Bernay, 24 novembre 1797). « Mademoiselle F... », était fille de Jean Fabre, maitre chirurgien à Paris, demeurant rue de la Mortellerie, paroisse Saint Paul. et sœur du futur graveur et marchand d'estampes, Louis François Fabre.
Signature de Pierre Hubert-Descours, fils de Michel Hubert-Descours, sur l'acte de décès de sa mère.
Bernay, paroisse Sainte Croix, 4 frimaire An VI, archives départementales, 8Mi418 f°409
Quelques extraits du manuscrit (anciennement dans la collection de M. Damien-Laurent à Evreux, et aujourd'hui conservé aux Archives de l’Eure sous la cote 5F28), ont été publiés en 1889 par l'abbé Adolphe André Porée, premier biographe du peintre (« Un peintre bernayen : Michel Hubert-Descours, 1707-1775 » par M. l'abbé Porée, Paris, Plon, 1889). Pour notre transcription, nous avons souhaité conserver la saveur de l'orthographe originale d'Hubert Descours ainsi que l'irrégularité de l'accentuation ou de la poncturation du texte et celle de la mise en majuscule de certains mots. La citation des échanges et des missives de personnes tierces faites par le peintre, ont été mises en italique. Quelques lettres omises ont été rajoutées entre crochets.
Michel Hubert-Descours, manuscrit, 1737, Archives départementales de l'Eure, 5F28, f°1
« Les amours de Mr
hubert Descours, avec
Mademoiselle Marie F….
Ecrite par luy même
En l’an 1737
Les peinnes et les traverses que j’ay essuyez de puis ma naisance, ou plutôt depuis le môment que je conçut de l’amour pour Mademoiselle marie f…. ; méritte bien la peinne d’en faire un petit mémoire, non pas tant pour la satisfaction de ceux qui le lirons, que par le plaisir que j’ay pris à mamuser a faire ce petit ouvrage, dans lequel on trouvera beaucoup plus de vérité qu’un stile corect et bien suivi,
Je fut né dans la petite ville de province nommée Bernay en Normandie. C’est là ou j’ay resté chez mon père jusqu’à l’âge de vingt quatre ans, et ou il me donna toute l’éducation autant que son état et ses moyens luy promît.
Pour abréger le discours je me sentit de la disposition pour l’art de peinture dont il ne désaprouva pas l’inclination naturelle que j’en avois, au contraire il me laissea une entière liberté de m’y étudier, mais comme je me parsuadé bien que si je n’avois d’autres principes que ceux que je prenoients de moi même, ce ne seroit pas le moyen de parvenir à un but ou la gloire et l’ambition me frapeaoit l’idée. Je conclu donc qu’il étoit apropos de prendre le parti d’aller ma sujettir aussi [les] académies de paris, ou est l’ecolle en forme pour apprendre dans les regles la natomie et toutes les proportions du co[r]ps humain. Enfin ce parti que j’aurois si resolument pris s’executa peu de tems après l’avoir formé, je ne crut pas devoir partir sans prendre au paravant quelque lettres de protextion de gens de nom et de credit de mon païs, ce qui me fut aisé d’avoir et chacqu’un parut charmé d’avoir occasion de me rendre ce service, et je fut approuvé non seullement de ses personnes la mais de tout ceux qui en furent informez.
Mon père tout rempli de joÿe de me voir disposé à partir, s’offrit d’un grand cœur à me conduire a cette fameuse ville ce que j’accepté avec beaucoup d’empressement, et nous partimes immédiattement quelque jours après.
Ce ne fut pas sans quelque regrets que je quitté cette chère patrie. Les belles connaissances et les amis que j’y avois outre ma famille, fut pour moi un sujet assez mortifiant.
Lorsque nous fûmes arivez à paris, nôtre curiosité nous portés d’abord a voir toutes les raretez publiques dont nous fûmes lun et l’autre forts satisfaits. Mais comme ce n’étoit pas la le secret de nôtre voyage, nous negligeasmes bien des chôses curieuses, pour satisfaire a l’empressement que j’avois de trouver place chez quelque célèbre peintre, ce que nous neumes pas de peinne à trouver grace à une lettre de recommandation dont j’étois chargé de rendre au premier peintre du roi, qui ne fit sous cette espèce, aucunnes résistence pour me reçevoir chez lui en qualité d’élève. Si je fut content de me voir en si bonne main, mon pere ne le fut pas moins, en fin très satisfaits tous deux de notre bonne reussitte, mon père résolut de sen retourner chez lui quelque jours après. Je lui fit la conduitte les larmes aux yeux en reçevant attentivement les bons conseils et les avis qu’ils me donna en partant, sur la conduitte que je devois tenir, et sur la façon avec la quelle je devois me comporter pour éviter une si grande multitudes d’écuëils et de dangers, ou bien souvent la jeunesse se plonge et se précipite : j’eut tant d’horreurs de la seulle idée et du monstre qu’il m’en fit, que de puis ce temps la je me suis toujours souvenu de ses conseils et les ay suivis comme chôse salutaire, je me suis mille fois applaudy d’avoir eu la constance de les suivres, et j’en fais en corre chacque jours des vœux au ciel en remerciement :
Après avoir passé l’espace de quatres années dans une étude et une attache continuelle sans voir qu’oi que ce soit au monde, je me reproché en moi meme ma trop grande solitude, mais quel qu’efforts que je put faire pour me procurer quel qu’amusemens avec mes confrères d’hâteillier, il me fut impossible, et ce n’étoit jamais que par une certaine politique qui témoingnoit plus d’ennuy qu’une gaïeté de cœur, ce qui faisoit qu’on me voyait rarement en partie de plaisirs avec eux.
Mon vray contentement étoit d’estre seul, si j’allais quelque fois respirer l’aire, les lieux frequentez netoient point mes délices, au contraire, j’eviteois toujours cette grande multitude de monde qui ne m’etoit qu’ennuyeuse, je cherissois avec pâtion les routtes écartez pour joüir avec tranquilité des pensées dont mon esprit s’occupeoit, tantôt un roman y faiseoit mon entretien et souvent je ne m’y contentenois que de chôse indifférentes. Voici de quelque façon j’avois jusque le passé le tems qu’and peu de jours après, le pur hazard me favorisea de voir pour la première fois celle qui m’a tant coûté de peinnes et qui elle sceulle fait aujourd’hui tout mon bonheur.
Comme souvent les choses arrivent dans le tems que l’on eu pensé le moins, je croy que l’on sera étonné de la façon avec la qu’elle je fit la première entrevue chez le père et la mère de Mademoiselle Marie f…..
Aiant donc depuis quelque mois la connaissance d’un jeune homme qui étoit ainsi que moi chez le premier peintre du roi pour y apprendre le dessein, je le connoissais déjea assez parfaittement, mais quoi qu’il fust infiniement plus jeunne que moi, il ne laissé pas que d’aimer sa sçociété et sa conversation, il avoit de l’esprit et qu’oi qu’il ne fût pas fort avancé en âge, on lui trouvoit des sentimens qui le faiscois désirer dans les compagnies.
Un jour qu’il me prît fantaisie de rejoüir mes confrères, par de certaines tours de suptilité de jeux de goblets et autre tours de gibesières, cela les surprit et lui plus tant qu’à peinne fut il retourné chez lui qu’il en fit un récit comme d’une chôse rare et des plus surprenante. Ses deux sœurs a un pareil récit témoignièrent une grande envie et une grande curiosité de voir qu’ils leurs paroissoit aussi surprenante, elles s’informèrents à leur jeunne frère q’il étoit possible de faire venir au logis le joüeur de pâse pâse, il leur assûrea qu’il ne manqueroit pas de faire tout pour m’y inviter (efectivement) il ne fut pas plutôt venu le lendemain matin au laboratoire qu’il me témoignea l’envie qu’il avoit de me procurer la connaissance de sa famille, mes soit que je fusse occupé de quelqu’autre chôse que quoi que je lui eût promis d’aller chez luy, je le laissé longtems dans cette attente.
Ennuyé de me voir chacque jours persécuté par ce jeunne homme, qui bruleoit de l’ardeur de me voir récidiver mes tours, me fit prendre la résolution d’y aller sans différer davantage, mais plutôt par une pure complaisance de ma part, que non pas par l’envie que j’avois de m’y faire connoistre :
Mais la façon et la manière obligente avec la qu’elle je fut reçu dans cette maison, me fit bientôt regretter le tems que j’avois reculé à en faire la connaisance.
Il y avoit dans cette maison deux demoiselles, dont l’aisné n’avoit pas plus de dix sept à dix huit ans, mais quoi qu’elles fusents toute deux doüé d’un meritte infini, je trouvai un certain je ne sçai quoi pour la cadette pour la qu’elle mon cœur des cet heure avoit donné la préférence. A peine eu-je vû les beaux yeux de Mademoiselle marie ….. (c’est ainsi qu’elle se nommeoit) que je ne conçu pas pour elle de l’amitié sans beaucoup d’amour. Tout trembleant et tout transporté du plaisir dont je me sentit agitté de voir cette belle personne spectatrice de mes tours, m’en pêchea d’exécuter aussi bien que j’aurois coulu le rosle pour le qu’el j’y etois venû. Les regards amoureux que je lui lançois à chaque instant d’eûrent luy faire sentir déjea la pâsion que j’avois pour elle.
Après avoir réjoüi la compagnie, on préparea un superbe souppé dont on m’honorea d’estre du nombre des conviéz. Il seroit impossible d’exprimer combien je me sentit agitté en me voyant à table en face de ses deux brilleants soleils, ses yeux me parurent si vifs qu’à peinne en pouvais-je soutenir l’éclat, sa phisionnomie seulle ne d’émentoit point la douceur et la modestie dont elle est remplie ; j’en aurois trop a dire si j’entrepreneois de la vouloir ici dépeindre au naturel. Tout à fait à mon gré et fort prévenu en sa faveur, je ne désirois rien tant que de trouver l’occasion de pouvoir lui ouvrir mon cœur et lui exprimer ma nouvelle flâme, ce qui ne me fut pas fort dificille, car immediatement après, le souppé ou l’on s’étoit beaucoup réjouit, la compagnie peoposea un tour de promenade, ce que l’on acceptea tous d’un commun accord. Je fut assez heureux que la mere et la fille ne refusèrent pas chaqune le bras que je prit la liberté de leur offrir. Le tems était beau et calme, ce qui fit que l’on y restea jusqu’a près minuit sans que personne parleasent de se quitter. Mon embarras nétoit pas petit pur pouveoir a la fois entretenir la mère et témoigner mon amour à la fille. Neanmoins la mere ne parut pas d’en cette occasion faschez de l’attention que je parut avoir pour Mademoiselle marie F…. je en douteai point que l’une et l’autre ne s’apperceuvront de mon afection et pour une première entrevüe j’en fit assez paroistre.
Après qu’un chaquin se fut séparé je ne désiré rien tant que dêtre au lendemain afin de retourner voir celle qui m’avoit si subitement pris le cœur, cette nuit même me durea un siècle tant mon esprit avoit été occupé de cette aimable personne. Jattendit avec impatience que j’avois accoutumé devoir tous les jours pour lui demander des nouvelles de celle qui m’avoit troublé le repos. Si je fut ravi d’entendre parler delle je le fut aussi d’apprendre que la mere l’avoit chargé de me faire des complimens de sa part, mon cœur en fut emû et cela me redoubla l’empressement que j’avois d’y retourner, en effet le soir ne fut pas plutôt venu que je prît pretexte de reconduire au logis le jeune homme.
Je n’y fut pas moins bien reçu la seconde fois que la première ; on me fit toutes les instances possibles pour m’engager à y souper, mais j’avois crainds en l’acceptant de me rendre incômode.
Pendant l’espace de huit jours j’y fit au moins qu’atres visites et ce fut à la veille de la nôtre Dame d’aoust ou je me trouvai présent au môment que quelques unes de bonnes amie de Mademoiselle Marie f….., vainrent luy aporter quelque fleurs en mémoire de sa fète, je fut ravi de l’occasion feignant de ne me point aperçevoir aucunement de ce qui se passeaoit, après y avoir resté près d’un car d’heure, je prit congé d’elle et de toute la compagnie pour courir au plus tôt faire un bouquet avec lequel je joingnit une confiture sèche en forme de cœur.
Michel Hubert-Descours, manuscrit, 1737. Archives départementales de l'Eure, 5F28, f°12
Je retourné tout à coup sur mes pas en sçachant de quelle façon l’on reçevroit de ma part un pareil compliment. Mais l’amour qui donne de la hardiesse aux plus timides ma fournit a droittement les moyens pour en lever toute la dificulté. J’ai jugé donc appropos de demander au paravant la permission à la mere de vouloir bien me permettre de presenter quelques fleurs a Mademoiselle sa fille ce qu’elle parut m’accorder avec un visage gaï et content, sous les conditions qu’il n’y auroit rien qui a companast le bouquet ; sur les assurances que je lui en fit, elle me le permît. En même tems je me retourné ver la belle marie f….. et luy fit ce compliment.
– Sous les ospices de madame vôtre mere, permettez moi je vous en supplie, Ma très chère demoiselle, de vous présenter une fleur, en mémoire de vôtre feste, je suis plus que mortifié de n’avoir pas été plutôt informé de votre a dorable nom, j’aurois fait les choses avec beaucoup moins de précipitation, c’est ce qui me fait esperer de vous, belle Marie…. Le pardon de ma témérité davoir osé me hazarder de ne vous donnr que des fleurs indingnes d’êtres mises sur vôtre sein. –
Elle prit de ma main ce bouquet et d’un air fort gracieux elle me remercia : je crut qu’il étoit apropos et de mon devoir d’accompan[gner] le bouquet d’un tendre baisé : il est aisé de s’imaginer le transport dans le qu’el je me trouvé, je ne manqué par de proffiter de cette occasion pour luy dire dans ce même instant que le présent que je lui faisois, étoit plus de consequence qu’elle ne pourrait se le persuader, puis qu’il éteoit vrai que mon coeur faisoit la plus grande partie de la galanterie que je venois de lui faire, et que la suitte des tems procuroit que je n’avançois rien qui ne fût efectif : elle ne put se tenir de sourire et feignit de prendre le compliment de ma part, indifféramment comme elle auroit fait de tout autre :
Comme il y a beaucoup de dissimulation chez les personnes de ce sexe, je ne put pénétrer les sentimens de son cœur ; mes suivant toute apparence, elle me parut pas refuser mon estime et encore moins mon amour.
Il y avoit près d’un mois que j’avois prémédité de faire le voiage de normandie pour quelques ouvrages qui mï apeleois, le jour de mon départ étoit pris avant la connaissance de l’aimable Marie : ce qui me mortifiea infiniment de ne pouvoir me dispenser di aller, mes lettres doctrois du jour de mon départ étoient partis et trois jours après il me falai mettre en routte : je fit part de mon voïage a la belle marie et a toute sa famille qui me témoigneèrent assez de mortification sur ce que je les quittois si précipitemment, j’en témoingné autant de mon côté, et mon air resveur et inquiet dû assez le faite connôitre : le soir de la veille du départ (fatal moment qu’il me falu quitter cette chère personne) je fut rendre mes respects et en même tems faire mes a dieux a toute la famille, je les assuté qu’au plus tard je serois de retour a paris dans deux mois. J’embrassé le père la mere la sœurs et le tour vint à la belle Marie…. Ou ci n’eut que le tems de luy dire en qu’atre mots le chagrin que je ressentois de la quitter : cela ne fut pas dit sans rependre quelque larmes, j’en n’aurois peut estre dit davantage mais, le tems ni la commodité ne me le permis pas : je prit donc congé de cette aimable compagnie en assûreant la mère que mon départ m’étoit infiniement plus sensible que si je n’eusse pas eu le bonheur de les connoîtres : je ne say si elle comprit ce que je voulut lui faire entendre, mais ce fut la mes dernières parolles.
Le lendemain matin je me mit sur la routte dans un coche avec un de mes amis qui saperçut bien de l’extraordinaire et de mon embarras d’esprit, mon air rêveur lui fit assez connoistre que si mon corps étoit présent que mon esprit était ailleurs. En efet il ne se trompoeoist pas ; je lui en fit l’aveû cincère, je sembleois me soulager en m’entretenant avec lui du charmant objet qui faisoit mes delices ; il s’aperçut qu’en m’en parlant il avoit trouvé le secret de me rendre plus gai et plus content, mais soit par un trait d’amitié ou par une complaisance de sa part, il afectea de m’en entretenir prèsque tout le long du chemin, cela me fit plaisir et me désennuya infiniement. Nous ariveasmes à Bernaï ou je me retrouva dans ma famille et parmi mes amis qui me recurents avec bien de la joïe.
Un amant qui aime véritablement est toujours occupé de l’objet qu’il adore et n’est jamais plus satisfait que lorsqu’il est auprès de celle qui le fait soupirer ; j’en fut de même pour la Belle marie…. dont je ne regreté pas peu l’absence. Je fut fort empressé à expédier les ouvrages que j’avois a faire dans le païs, mais il m’en servirent tant, qu’au lieu de deux mois que je métois proposé de rester, jy demeuré près de huit mois, les fréquentes parties de plaisirs et de chasse que mes amis me procurerents, contribûërents beaucoup à ce retardement, néantmoins quelque plaisirs que je présent a ces sortes d’amusements je n’oubliois jamais l’adorable Marie… L’amour me l’avois trop gravez dans le cœur, la crainte que j’avois qu’une absence si longue ne détruit le peu d’estime qu’elle pût avoir pour moi, me fit enfin prendre le parti de retourner à Paris. Dans le tems que je premeditois mon depart je reçut une lettre de la part de la mere par la qu’elle elle m’anonçea la mort de son mari, cette nouvelle me touchea beaucoup, et quoi que je ne conneusse pas parfaittement ce monsieur, j’y prit toute la part imaginable et je ne manqué pas aussitôt d’y répondre par une lettre de condoleance que j’écrivit a cette dame ; Peu de tems après je lui donné avis de mon, départ à fin qu’elle me préparreât l’appartement garni que j’étois commencé de prendre chez elle. Je ne crut pas devoir écrire à la mère sans mettre dans la même enveloppe, un billet pour la Belle marie, et voici ce quil contenoit
– A la Belle Marie F….
Si je vous jurreois Mademoiselle que l’espâce de tems dont je suis privé de vous voir ne ma point fait oublier d’un instant les charmes et le méritte infini dont vous este remplis (me croiriez vous) non je ne me le persuade point, j’ay trop peu été exact a la promesse que je vous fit en partant, d’estre ici de retour dans deux mois, et en voici près de huit que je passe éloigné de vous, soyez cependant sûre qu’il n’a pas tenu amoi de vous revoir si tôt que j’ai désiré, il me reste a vous en convaincre de vive voix et de sincérité de cœur et en attendant avec impatience cet heureux môment croiez moi avec les sentimens les plus soumis –
Michel Hubert-Descrours, portrait de Marie Jacqueline Fabre, v. 1737. Collection particulière
Ce ne fut pas sans beaucoup de curiosité que j’euse désité de qu’elle façon elle reçut ce billet : ne douttant nullement qu’elle ne comprit aisement qu’il y avaoit de l’intention dans mon fet, efectivement s’en étoit assez dire pour qu’elle ne doutteât pas de mon amour. Ayant parti immédiatement deux jours après cette lettre d’avis, je n’atendit point de réponse et j’arivé à Paris le jour marqué, ce ne fut pas sans une joÿe parfaitte lors que je revit les beaux yeux de Mademoiselle marie F…., un ait gaï et un contentement inexprimable parut en moi à l’aspect de cette chere personne a laqu’elle je reïtéré deux ou trois baisers des plus tendres ; je mescusé autant qu’il me fut possible sur le long séjour que j’avois fait en Normandie en l’assurant que quelques raisons absolüe, m’avoient contraint d’y rester plus de tems que je ne l’avois projetté, en fin dès ce jour même je prist place dans l’appartement qui m’étoit depuis tant de tant destiné.
Après avoir passé d’un mois ou six semaine dans un profond silence sans dite ouvertement qu’els étoient mes sentimens, je ne crut pas devoir différer davantage à la demander en mariage. J’en parlé à la mere la qu’elle me rémoignea accepter la chose de bon gré et me dist qu’il ne tiendroit point à elle que cette ailliance ne ce fist, et qu’elle avoit conçu trop d’estime pour moi, pour ne pas accepter une chose qui paroissoit lui faire tant de plaisir : – il ne vous reste plus monsieur (me dît-elle) qu’a savoir les intentions de ma fille pour vous rendre une réponse pôsitive, j’en vais parler avec elle et je sçauré vous le redire au plûtard demain. –
Quoi que je ne doutteasse pas tout à fait d’une heureuse réponce, je ne passé pas tout à fait la nuit si tranquillement que j’aurois pu faire si j’en eusse été asuré, je désiré avec une très vive impâtiance, savoir le succès de ma déclarâtion : au môment que je m’entretenois qu’elle seroit la dssîtion de cette a faire, il vint une personne m’aporte une lettre de la part de la mere par la quelle elle marquea que mademoiselle sa fille consentoit avec beaucoup de plaisir a lhonneur que je voulois lui faire, et qu’il ne me resteoit plus qu’a lui en faire moi même la proposition : je ne manqué par dès l’heure même d’y aller l’assûrer de mes très humbles respects, et en presence de madame sa mere je lui fit ce compliment !
– Mon devoir et la bienseance Mademoiselle, m’a porté d’abord a communiquer a madame vôtre mere l’inclinaison et l’amour que j’ay conçu pour vous, et que si jetois assez heureux de meritter son estime et la vôtre, je ne desessperireois pas de pretendre au bonheur dêtre en même tems son gendre et votre époux ; elle vient me faire l’honneur d’octoÿer m’a demande aux conditions que vous seriez toujours la maitresse de disposer du choix en faveur de qui bon vous sembleroit, ne prétendant nullement forcer vôtre inclinaison, c’est pourquoi ma très chère demoiselle, si vous me croiez digne de mériter place dans vôtre coeur, vous me donnerez lieu d’espérer de vous donner un jour la main ; daingnez donc s’il vous plaist prononcer l’arrest de ma vie ou de ma mort, l’un ou l’autre sont en vôtre disposition. –
La belle a un tel compliment baîssa les yeux qui témoingnèrent en elle une grand[e] pudeur et une grande modestie !
– Monsieur, me dît-elle, il me suffit que la chôse paroisse faire plaisir a ma chere mere pour ne pas consentir de bonne grace à l’honneur que vous me faitte, je suis seullement bien faschez de vous dire que vous ne trouverez pas en moi une personne doüée d’autant de bonnes qualitez, tels que vôtre politesse vous engage à me si mal dépeindre. –
Tout satisfait d’une réponce si grâcieuse et si obligeante de sa part, banîrent tout à coup de mon esprit l’embaras et la crainte que j’avois qu’elle ne balançeât à m’octroyer avec un cœur aussi ouvert, les sentimens de son ame : je prît sa blanche main et la baisé mille fois en lui protesteant que je me regardeois dès ce moment comme le plus heureux de tous les mortels ; en fin tout transporté d’une joÿe la plus parfaitte, je ne crut plus dévoir penser qu’a m’assujettir aux soings et aux attentions qu’un fidelle amant dût avoir pour une aussi aimable maitresse.
Après une telle déclaration, je ne crust pas devoir différer davantage sans en instruire mon pere qui je crut reçeuvroit avec plaisir une pareille nouvelle ! Mais ô Dieu quelle fut ma surprise a une reponce si peu attendüe de sa part lorsqu’il mécrivit en ses termes.
– Je désaprouve beaucoup moins, mon fils, le choix que vous venez de faire, que l’imprundence que vous avez eû de vous hazarder à demander en mariage une demoiselle sans consulter auparavant quels étoient mes sentîmens. J’aurois crû devoir estre le premier informé de vôtre amour avant que d’en avoir fait les annonces dont je ne vous repond pas de la reussitte n’y du succès que vous en attendez ; croyez moi ne pensez pas encorre a vous engager dans les ambarras du ménage, vous este jeunne et vous ne devez uniquement songer qu’a la perfection de vôtre art, c’est le conseil qu’une fils tel que vous doit reçevoir de ma part… –
Quelques soings que je prît pour cacher auprès de ma belle marie… le crüel coup de foudre que cette lettre si dure et si peu attendüe magittea l’esprit, elle ne laissea pas que de s’apperçevoir de mon trouble, je méscusé d’abord par quelques meaux de tête que je me supposeoit avoir, tantôt j’attribüeois ma melancolie a la perte de quelques parens ou amis ou je disois estre fort sensible, neantmoins je me calmé peu a peu de la séverité avec la quelle mon pere me traitteoit, je me flatté que par quelques escuses que je me proposé lui faire, j’adoucireois sa colere et pourois peut-êstre l’amollir. Je lui écrivit dans des termes tout à fait soumis et des plus repentant, et que je convenois véritablement de mon tort, mais qu’a quelque âge que l’on fût on étoit pas exent de faire des fautes ; je crust sincerement le toucher et par ce moien obtenir de lui la faveur que j’en espereois, mais ce fut en vain, il me tint en corre dans la seconde lettre, a peu près le même langage qu’il avoir fait dans la première ; enfin je me livré a la douleur la plus amère, et je me regardé dès ce môment comme le plus infortuné de tous les amans ; il ne faût pas doutter si je pu lontems cacher mes peines à cette chere maitresse, car scachant que j’avois mandé a mon pere ce qui s’etoit passé et que je ne produiseois aucune reponce de sa part, on pensea bien qu’il ne pourroit y avoir d’autre raisons que occasionneast mon chagrin, et qu’il y avoit bien apparence que cette ailliance ne paroîsseoit pas estre de son goust : en efet il ne se trompeois pas car cétoit le seul motif de mon afliction ; neantmoins je l’escusé autant qu’il me fut possible en persüadeant la mere aussi bien que la fille, qu’il se pouvoit faire que mon pere fût indispôsé ou absent de Bernai pour les affaires de son commerce, je tascheois de prolonger autant que je pouvois a fin que pendant ce tems la je me flatteois de le pouvoir flêchir. Après quoi j’aurois pû en toute liberté de pouvoir communiquer ses lettres. Cetoit ce que je premediteois au môment qu’un de mes cousins et ami de mon pere vînt me faire part d’une lettre qu’il veneoit de reçevoir de lui, et voici ce qu’elle contenoit !
– Lettre
Vous este sans doutte informé Monsieur et cousin, de la recher[che] que mon fils fait pour se marier, il a crû apparemment me surprendre et que je m’en rapporterois à lui pour y consentir sur le champs. Mais il c’est trompé, et quant même ce seroit mon desein, je ne lui ferois pas conoître sans estre bien informé auparavant ce que c’est que la famille dans la qu’elle il veut s’aillier, et si ce prétendu parti lui est autant convenable qu’il le doit désirer pour son avantage et pour ma satisfaction. Je veux même l’hygnorer, désabuzez le je vous prie de sa folle pâsion et faitte le rentrer en lui même sans lui donner la communication de ma lettre, faitte moi ce plaisir et il nous en dêuvra l’entierre obligation, c’est de la part de vôtre afectionné serviteur… –
Les peinnes certainnes que j’avois que mon inclinâtion étoit fondée sur une personne de probité et d’un râre meritte, animea mon courage et me laissa un rayon d’esperance de pouvoir parvenir à mon entreprise : j’ygnoré avec mon pere de la lettre qu’il avoir écritte a mon cousin (attendu qu’il lui étoit expressément en chargé de m’en faire mistere) et je conclu de faire encorre une tentative pour le déterminer à consentit à mon amour, je lui écrivit avec la dernière de toute les politesses afin d’en avoir rien a reprocher au cas que j’eusse d’autres mesures a prendre q’il ne me donnoit de bonne grace son agrément : je jugé même a propos de lui faire connoistre que j’étois prest de suspendre mon mariage de six mois ou un an s’il le vouloit, pourvû qu’il me promît de ne me point refûser cette satisfaction/ Mais quelque furent mes supplications elles furents vainnes et ne put obtenir de lui rien de consoleant, au contraire il en emploÿea tous ses amis et les miens pour m’en détourner, mais ce fut en vain, l’amour n’évoit trop bien gravé dans le cœur cette adorable personnes, pour pouvoir enver elle commettre une telle perfidie !
La crainte que j’avois que mon pere ne me soubçonnast d’une amour folle et mal fondée, comme il se le persüadeoit, m’obligea a ne rien épargner pour donner la connaissance de Mademoiselle Marie F…. a toutes les personnes de mon païs afin qu’ils en fisents a mon pere le récit et le portrait au naturel, efectivement cela ne contribua pas peu a l’y faire résoudre par un de ses intimes amis qui appuÿea fort sur la réalité de tout ce que j’en avois dit.
Je fut quelque tems après, surpris agréablement par une lettre de mon pere qu’il reçut et qu’il me comuniquea, par la quelle il lui mandeoit que puisque j’étois toujours dans les sentimens d’épouser cette demoiselle, il me donneroit une entière liberté d’accomplit mes désirs, mais qu’il vouloit auparavant estre informé des conventions et de la dopte telle que l’on la promettoit.
On peut aisément s’imaginer dans quel transport de joÿe je me sentit a une pareille nouvelle, on me vit bien tôt pâser de la tristesse a la gaïeté et je ne songé plus qu’à témoigner à Ma belle Marie, un amour plus vif et plus animé que je n’avois fait tout pendant mon trouble. Il fut aisé de prouver à mon pere de ce qu’il doutteoit et ce fut mon cousin qui se chargea de ce soing la, il lui détailliea naturellement toute les circonstances et sacquittea fort bien de cette commission dans la lettre qu’il lui écrivit. Mais soit que mon pere voulût éprouver ma constance ou qu’il y consentît avec répugnance, il succita bien tôt de nouvelles objections qui témoignèrent bien que je n’étois pas encorre a la fin de mes meaux. Tant de difictultez causerents un si grand changement chez l’adorable Marie, qu’en peu de tem je m’aperçut d’un très grand refroidissement a mon egard, je me douté bien que ce dégoust ne provenoit que par les résistances que faisoit mon pere pour s’opposer a nôtre hymène. Le chagrin qu’elle en prit l’obligea a prendre la résolution de me remercier de mon amour, elle me priea de ne plus penser à elle et de l’oublier totalement.
– Je séez me dit-elle, que ce parti vous coûtera un peu s’il est vrai que vous m’aimez autant que bous le ditte et que vous me l’avez toujours fait parôitre : mais le meilleur parti que vous devez prendre sur cela, c’est de me voir moins souvent que vous le poûvez, vous trouvêrez par la le moyen de vaincre peu a peu cet amour et cette amitié qui ne vous peut estre, a ce que je prevoÿe, qu’insuportable a vôtre tranquillité, oubliez peu a peu le meritte que vous me ditte estre remplie aussi bien que les prétendüe charmes que vous me trouviez alle,z croiez moi dissipez vous et portez vos soings pour une autre personne plus digne que moi de vous rendre heureux, et soiez persuadé que je ne serai jamais méconnaissante de vos attentions ainsi que de vôtre amour, mais puisque le destin ne nous a pas faits, l’un pour l’autre la bien seance de mon sexe me commande de nous séparer. –
Quoy qu’elle me parût dire ses parolles avec assez de fermeté, je me laissé pas que de m’apperçevoir de la sensibilité avec la quelle elle me le dît : plus mort que vivant à un semblable prononcé, môtea l’usage de la parolle et on m’auroit vraisemblablement comparé dans cet état à un criminel auquel le juge prononce la condamnation et l’arrêt de sa mort : après estre un peu revenu de cet extase je me jetté a ses pieds,
– quoi belle marie, seroit-il possible que de celui qui se croyeoit a la veille d’estre le plus heureux de tous les mortels vous voulûsiez en aracher la vie par des tourments aussi crüels, est-ce la comme ous voulez recompenser le fruit d’une si tendre et si fidelle amour. Non je ne puis me le figurer quelques sermernts que vous me fassiez je ne puis vous croire, assez hinumaine pour me traitter ainsi ; mais soit pour m’éprouver ou que vous me parliez sérieusement, si vous ne changez incessamment de resolution et que je ne sois digne de vous toucher, ne desesperez pas qu’en peu de jours l’on ne vous impute instemment la cause de ma mort. –
Les larmes que je vit couler sur les lys et les roses de son visage, dementirent bien tôt la constance dans la qu’elle elle feingneoit être en m’anonçeant une si funeste destinez. Mais devois-je doutter du contraire quand je m’aperçeut de son trouble.
– Il n’est pas (me dit-elle) a mon pouvoir de vous flatter de cette esperance que vous voulez exiger de moi, se n’est que les obstacles qui s’y oppose qui m’oblige a vous parler de la sorte et si je desespere de la reusitte de notre hymenee, ce n’est point a moi a qui vous devez attribüer la cause, mais plutôt a Monsieur vôtre pere dont l’entêtement me paroit inflexible et duquel je ne dois attendre que de la fierté et du mépris. –
Bien que je fût persuadé que cela lui causeast de la repugnace, je pensé bien qu’il y a avoit joinds a cela qu’elqu’autres raisons qui l’obligeast de rompre tout avec moi.
En effet, j’aprit se jour là même par Madame sa mère qu’elle venoit de voir un de ses oncle, lequel autant picqué qu’elle de la maniere d’agir de la part de mon pere lui venoit de faire entendre qu’il n’y avoit aucunne apparences de rien terminer avec un semblable homme, et que pour éviter tant de dificultez, le moyen le plus sur étoit de n’y plus penser, non seullement content de cela il lui a fait promettre de renoncer a un amour qui l’exposoit a tant de disgraces.
– La frayeur qu’il lui a faitte de toutes les suittes des ménages (me dit en corre la mere) n’a pas peu contribué a lui donner du dégoust pour le mariage et a la faire consentir a ses volontées, voila ce qui c’est complôté entre eux deux et j’en viens d’estre informé par elle même. Quand à moi ne m’inputée rien dans cette afaire, car je vous jure que je ny ai aucune part et j’ay été aussi surprise que vous de ne changement du quel par raport a vous, j’en ressents un vrai dépit, je vous aime trop, soïez en sur, pour vous nuire dans une chôse qui m’auroit fait tout le plaisir imaginable ; mais ne vous livrez point a une douleur inesperez et contez que je ferai tout ce [que] je pourai pour en gager ma fille a revenir de sa ridiculle resolution. –
Mais quelque efforts que fit la mere pour tacher de calmer le désespoir dans le quel jetois plongé, elle n’y pust parvenir, et je pris toute ses faibles esperances que pour une espêce de consolation, je ne tombé derechef dans un si noir chagrin et me livré à la tristesse la plus digne de compâtion, je me souhaitté plus de mille fois la mort afin de finir mes meaux, et si un Dieu si bon ne m’en eut garanti, je me la fusent je croi donnez moi même ; je n’eut donc recour qu’aux larmes sans que rien ne les pût retenir, mais quel fut l’ogmentation de ma faîblesse lors que je me retourné ver m’a Belle Marie, qui fondoit en larmes qu’el fut l’excès de beauté et de charmes avec la qu’elle je la vit dans cette triste sitüation, semblable a la plus belle magdeleinne auquel le peintre amis tout son art pour pouvoir a la fois exprimer les grâces au milieu de la plus amere douleur ;
– O ciel me mé crî ay je adorable Marie, ne suojée pas assez outragé sans vouloir me donner encorre un semblable spectacle, hé pourquoi vous allarmer de la sorte ; laissez repandre les larmes aux infortunée comme moi et n’avancez pas les jours a un miserable amant qui prévoit ne les finir qui trop tôt. Calmez vous un peu je vous en conjure, que rien ne vous obli[ge] a consentir de donner la main a une personne pour la quelle vous marquez trop de resistance, je serois moi même le premier a la refuser si je n’etois aussi sur de vôtre amour que de vôtre estime. –
Quelqu’instances que je fit a cette chere personne pour apaiser ses larmes, je ne put y parvenir et elle ne discontinüea point de pleurer pendant un jour entier, sans que les fontainnes de ses beaux yeux se tarissents et sans proferer une seulle parolle. La mere de son côté s’employa autant qu’il lui fut possible pour l’apaiser, mais elle n’y gaingna rien.
Les reflections que je fit a m’étudier pour découvrir qu’el étoit le sujet d’une si grande tristesse, me fit souppçonner que cette adorable maitresse, regretteoit peut-estre les promesses qu’elle avoit faittes a son oncle de renoncer a mon amour, et que cela pouvoit lui causer se combat, en efet je ne me trompé pas dans ce présentîment, elle m’en donna des preuves assez convainquantes. Après avoir pâsé tant d’une part que de l’autre une si ennuyeuse nuit et que l’heure du matin fut venüe, je ne manqué pas de retourner voir Mademoiselle Marie…. La quelle je revit bien différente que le jour précédant, je compris bien au premier abord, que je ne m’étois pas trompé dans mon opinion, car sans presque me parler, elle me fit assez conoître qu’elle ne me pouvait refuser son coeur ; on peut aisément s’imaginer la joüye et le plaisir que j’en conçut dès cet instant, après la petite conversation que nous eusmes ensembles, je ne doutté plus qu’elle n’eust entierement changé de resolution.
La mere et sa sœur charmée ainsi que moi d’un tel changement m’en témoignerent leurs contentement ils me fîrent part de la déclaration que leurs avoit fait l’aimable Marie en ma faveur, dîsant qu’elle n’étoit plus d’humeur à écoutter les conseils de son oncle, et qu’il le trouvast bon ou non, elle étoit entierement dans la volonté de me donner la main quelque reprimandes qu’il pût lui faire.
Signature de Marie Jacqueline Fabre Descours au mariage de sa fille, Marie Jeanne avec Pierre Robert Trefouel, le 13 novembre 1777 à Sainte Croix de Bernay. Archives départementales de l'Eure, 9Mi414, F°17
Cet oncle s’étoit toujours imaginé que c’étoit la mere de l’aimable Marie qui de sa propre volonté, vouloit la forcer a m’épouser, ce qui fit qu’il mît tout en usage pour en éloingner sa niepce, il lui propôsea le monastere vouleant la persüader qu’elle étoit plus capable de remplir cet étart que non pas celui du monde ; il l’assurea que si elle accpetait son offre, il prendreaoit un vrai soing d’elle et qu’il n’epargneroit rien pour la rendre heureuse autant que cette condition pouvoir le permettre. Mais il fut étrangement surpris a une reponce aussi peu attendüe de la part de sa niepce la quelle lui parlea bien differemment qu’elle n’avoit fait quelque jours avant en lui représentant qu’elle n’avoit pas assez pris le tems sur elle pour reflêchir mûrement a cette afaire et que sa frayeur qu’il lui avoit faitte des suittes du menage, avoit beaucoup contribüé a ce changement, mais que depuis ce tems la, elle n’avoit pas crû sortir de la bienseance de correspondre a l’amour et a l’amitié d’un si parfait honêt-homme.
Si cet oncle fut surpris d’un sentiment si contraire et si oppôsé de la part [de sa] niepce, il ne le fut pas moins de la fermeté avec la qu’elle elle [le] lui dit. Il se repentît bien tôt de toutes les offres qu’il lui avoit faiites en compris bien dès ce môment qu’il seroit fort inutille qu’il en parleast davantage : – vous-este lui dit-il, fort la maitresse de suivre le pencheant que vous avez pour ce Monsieur, mais il netoit donc pas besoing que vous me demandâsiez conseil pour n’en faire qu’a vôtre tête – ; tout cela fut dit avec un flêgme qui témoignea assez de dépit et d’indiference pour la Belle Marie, mais comme elle avoit résoleument pris le dessus de tout cela, elle quitta son oncle peu satisfaitte de sa réception.
Je ne sçai par quel canal mon pere fut informé que ce bon oncle ne donneoit pas dans ce mariage, il m’en falû pas d’avantage pour troubler toute la tranquillité que nous commençions a sentir renêtre ; en efet, l’interest qui guideoit mon pere dans cette afaire, lui fit croîre que si cette ailliance se contacteoit contre le gré de ce parent, que sa haîne pouvoit l’exiter a la frustrer de ses biens, tout cela ne le laissa pas longtems en balance de faire réunir le consentement qu’il avoit en voyé a mon cousin pour nous marier, je me trouvé fort en barassé dans cette conjoncture, car peu de tems après tout le monde sçut bien tôt ma disgrâce, ce qui occasionne tous mes proches et mes meilleurs amis a me conseillier de m’éloingner de cette chere personne, et que c’etoit le moyen le plus sur pour m’en détacher, me représentant qu’il étoit inutille à moi de nourir un amour fondé sur trop peu d’assurances.
Tant d’avis par autant de différentes personnes, fîrents quelque impression dans mon esprit ce qui m’occasionna d’en vouloir faire l’épreuve. La mere qui de son côté chercheoit a ménager la réputation de Mademoiselle sa fille, me prévient sur l’intention que j’en eut, me representea que l’impassibilité qu’il paroîseoit y avoir pour terminer nôtre mariage, devoit lui faire garder des mesures sur l’honneur d’une fille si sage et aussi vertueuse, et qu’indispensablement il faleoit se séparer.
Quoi que j’eut foiblement pris ce parti, l’ordre que me signifia la mere, me fit bien tôt regretter le desein que j’en avois euent fin bon gré ou malgré, je ne put refuser d’obeïr aux volontés que l’on me signifia, et il me falut bien tôt quitter cette charmante maitresse et aller aillieur chercher une nouvelle pension ; ce ne fut pas sans un extrême regret que je la quitté ; et je croi que la mort m’eût été cent fois moins cruëlle que la peinne que j’en ressentit, il n’y eut rien que la douleur et l’excès de mon amour ne m’excitea a dire de plus tendre lorsque je me séparé d’avec elle. Elle en fut aussi touchez et elle me fit bien connoître que mon exil lui couteroit quelques larmes. En efet l’eau que je vit couller de ses yeux fut pour moi un témoingnage de sa sensibilité : la mere, de son côté me donnea autant de marques de tendresse qu’elle auroit pû faire pour un fils bien aimé qui s’en va sur mer éprouver l’inconstance de ses flots sans espoir de jamais la revoir ; la sœur en fut de même et qu’oy qu’aînée de la Belle Marie, ne me fit jamais paraôitre aucun ressentiment ni aucun trait de jalousie de la préférence que je donnois a sa cadette, au contraire elle m’aimea toujours egallement et mon absence la mortifiea infiniement : une si aimable société m’accablea de regrets, je me representeois souvent dans lesprit que si le destin ne se fût opposé a mon bonheur, je me serois vû le plus heureux de tous les hommes, mais qu’au contraire, je ne prevoyeois estre né que pour traisner une vie languissante et toujours persecutez de peinnes et de traverses.
Au môment que je m’entreteneois a loisir de tous mes malheurs et de toutes mes avantures, il me survint en l’esprit une idée de vouloir voyager pour m’absenter quelque tems de l’objet que je ne pouvois oublier, croyeant par cet endroit joüir dans la suitte d’une tranquilité plus parfaitte, mais ce fût en vain, je n’en eut faiblement que l’intention et non le courage.
– Me voilà donc resté ici (me disjes en moi même) comme un esclave en chaisné de fers qui ne peut joüir de sa liberté, enfin quel qu’un qui n’auroit vû dans ce pitoyable état fait de moi si je n’euse généreusement pris le parti de ne pas renoncer a continuer de voir cette chere personne : l’amour triomphea bientôt de mon faible cœur et me fit tout à coup tourner mes pas verla Belle qui me captiveoit. –
Ce ne fut pas sans beaucoup d’emulation et sans un grand transport de ioüe que je la revit, mais s’il me falleoit dire le langage que je lui tint, je serois fort embarassé, je sçuz seullement bien que ma titmidité et mon trouble d’esprit môtea la liberté de mescuser avec beaucoup moins de facillité : peu de tems après avoir repris mes sens je me retourné ver la mere et lui parlé ainsi ! Je n’ai pas oublié, Madame, la déffence que vous m’avez faitte de ne plus voir Mademoiselle vôtre fille et de l’oublier totallement comme vous m’en avez prié en me séparant d’avec vous ; mais quelque effort que j’aye pû faire sur moi pour vaincre mon amour et pour obéïr a vos ordres, il me seroit impossible de reompre une amitié si forte, quand même il y dependroit de ma vie, pardonnez moi s’il vous plaist ma timidité et ma désobeissance, et ne me regardez point pour cela d’un œil d’indifference quoi que je d’eusse peut-être le mériter ;
– Non Monsieur repri la mere, vous me ferez toujours un très sensible plaisir en vous voyeant, ne n’a été qu’une raison politique qui m’a contraint a vous dire de vous eloingner et de vous dégager de ma fille, la bien séance a voulû que je le fasse par rapport a tout les obstacles et aux dificultées qui s’oppôsent a vôtre ailliance, ne pense pas cependant que je blâme vôtre constance ni l’amour que vous avez pour ma fille, je vous estime assez pour ne vous pas flater dêtre un jour son époux s’il est vrai que je coîvetabler sur la rëalité des sentîmens que vous dite avoir pour elle, ainsi tranquilisez vous et énagez toujours Monsieur vôtre pere qelque peine qu’il puisse vous faire c’est le conseil que je vous donne et que je vous prie de suivre. –
Si je fut satisfait de revoir les beaux yeux de l’adorable Marie…. Je ne le fut pas moins des assûreances que me donnea la mere sur la reusitte de nôtre hymene, un contentement parfait parut tout à coup sur mon visage, et on me vit en peu de tems revenir dans ma premiere asiette.
Mon pere se réjoüisseaoit deja de mon exil, se persuadeant que mon éloingnement me feroit infailliblement oublier mon amour, il m’en felicitea par une lettre qu’il m’écrivit en ces termes.
Lettre
J’ai appris avec plaisir, Mon fils, que vous commençiez a devenir raisonnable, si vous m’eusiez d’abord consulté, vous vous seriez épargné bien des peinnes qui ne vous onts fait que troubler l’esprit, neantmoins je suis tres charmé que vous vous soyez écarté de l’objet qui vous attacheoit, par ce moyen vous allez sans doutte vous procurer une tranquilité plus parfaitte ; apliquez vous donc de rechef a l’etude de vôtre art et apprenez une fois pour tout a vaincre genereusement tout ce qui peut nous nuire et nous estre contraire pour ariver ou la gloire nous appelle, ce sont les conseils que vous donne vôtre pere…
Si mon pere se persüada que cette séparation me feroit oublier totallement Mademoiselle Marie F…. il ne fut pas lontems sans être informé de tout ce qui se passeoit et que je continüeois toujours de la revoir avec le même amour et la même afection ; il m’en fit quelques reprimandes et fut depuis ce tems la pres de deux mois sans me donner aucunnes de ses nouvelles. J’en fit de même a son égard et je resté longtems dans un profond silence après qu’oi je jugé a propos de faire le voyage de normandie afin de pouvoir gaingner de lui, ce que je n’avois pû obtenir par lettre.
Je fut bien tôt disposé et prest a partir. J’instruit mon cousin du sujet de mon voyage le quel ne me désapprouva de faire cette démarche, au contraire, il se persüadea bien comme moi, que j’en ferois beaucoup plus par ma présence, que non pas avec toutes mes lettres suppliantes ; mon cousin fut ravi de l’occasion, car comme son dessein étoit d’envoyer son épouse faire un petit voyage dans cette province, il me témoignea le plaisir que je lui ferois si je voulais différer mon départ de quelques jours, il me confierit son épouse et sa belle mere pour les accompangner sur la routte.
J’accepté de bonne volonté cette proposition et nous partîmes huit jours après : ce départ me coûtea quelques larmes lorsque je quitté cette adorable maîtresse a la qu’elle je fit toute les protestations de lui écrire a tous les endroits ou je séjournerois sur m’a routte, ne prevoyant pas arriver à Bernai avant une quinzaine de jours, a cause de tous les détours que nous fumes obligez de faire pour accompagner mes dames qui firents plusieurs altes pour voir des parens et des amis quelles avoient dans les environs de nôtre pâsage.Deux jours après être parti de Paris, je mît la plume a la main et j’écrivit a la charmante Marie par une occasion qui se présentea, n’aiant pas la commodité de la poste : mais soit que le commissionnaire oublia de rendre cette lettre aussi promptüellement qu’il me l’avoit promos, il ne la lui remis que près de quinzes jours après ; il ne faut pas doutter du trouble et de l’impâtience ou se trouva Mademoiselle Marie. Une si grande espâce de tems sans entendre parler de moi, la fit soubçonner de quelque infidellité, elle en conçeut contre moi un si grand dépit qu’ausitôt qu’elle eut reçu ma lettre elle me la renvoÿa en cormandie sans la décachetter avec un billet dans l’enveloppe, et voici ce qu’il contenoit.
Billet
Vous avez bien tôt oublié es promesses que vous faitte Monsieur, aussi bien que les personnes que vous ditte estmer, vôtre negligence a mon égard me procure plutôt une politique de vôtre part, qu’une sincere amour, je n’en juge point par le contenu de vôtre lettre puisque je n’ai point eû la curiosité de la décacheter, mes vous me faiite assez connoître par vôtre façon d’agir : il u a aujourd’huy plus de quinze jours que vous ête parti de Paris, et vous avez attendu jusqu’à ce jour a me donner de vos nouvelles, j’en suis picquez et je me plains avec raison de cette indifference, ce n’est pas ce que je devois attendre de vous, mais puis qu’ainsi est oubliez moi plutôt tout à fait si vous naiez pour moi d’autres sentimens, s’il étoit vray que vous eussiez de la tendresse pour moi, vous ne m’auriez pas je croy laissé dans une semblable inquietude, mais il y a toute apparence que vous est occupé de quelqu’autre objet qui m’a éfacez de vôtre souvenir. Ne vous gesnez plus Monsieur par rapport à moi, j’ai langui et je m’aprête a quelques suittes plus mortifiantes.
Dès que nous fûmes arrivez à Bernai on me remis cette lettre ; mais helas qu’elle fut m’a surprisse de voir la façon avec laquelle cette belle me trairreoit ; je suis innocent (me dis-ois je en moi même) je ne fais plus de doutte que le commissionnaire dont je me suis servi ne ce soit fort mal acquitté du service que je l’a requis de me rendre. Quoi qu’il en soit, il me sera facille de me justifier et jespere la convaincre du mauvais opinion qu’elle a de moi : je ne crut pas devoir différer d’avantage a lui faire cette reponse.
Lettre
Ne me condannez point de la sorte a Dorable Mairie, auparavant que de m’estre justifié avec vous sur ma pretendüe negligence, je me suis rangé au devoir et a la promesse que je vous fit en partant de vous écrire, si vous n’avez pas reçu la lettre que j’ay eû l’honneur de vous dresser de par me deux jours après mon départ, il y a toutte apparence que je me suis confié a un indiscret d’avoir tant tardé a vous rendre ma lettre, il est fescheux pour moi que a commodité de la poste ne m’aie pas fourni les moyens de vous écrire directement, vous ne me traitteriez surement pas de la sorte, pardonnez donc s’il vous plaist, l’inocence dont vous m’aviez condamné coupable ; s’il vous resteoit le moindre doutte sur ce que j’ay l’honneur de vous dire, la compangnie avec la quelle je suis parti de Paris ; seront témoings qu’il n’y a aucnnes fourberie dans mon fet, mais si au contraire vous me croyez dingne de foit, vous m’en donnerez s’il vous plaist de nouvelles preûves, et ar cet endroit vous me procurerez assûrément une tranquillité plus parfaitte, c’est la faveur que j’attend de vous avec la dernière des impatience, croyez moy au dela de toutes expressions
Mademoiselle
Vôtre très humble et
Très fidelle serviteur
Ce ne fut pas sans beaucoup d’inquiétude et d’impâtience que je désiré apprendre qu’el efet avoit produit m’a lettre de justification les jours me semblent des années, enfin pourtant huit jours après je reçut cette reponse.
Lettre
Si je n’avois pas autant d’affection que j’en ai pour vous, je me serois fort peu embarassez de vous faire des reproches sur la pretendüe negligence dont je vous avois soubçonné, il me suffit que vous m’en aÿez dit la cause pour me dissüader totallement de l’opinion que j’en avois, je n’ai point besoing pour cela d’autre justification que la vôtre, ainsi tranquilisez vous et ne pensez pas qu’il me reste le moindre ressent$iment contre vous, a Dieu, pensez souvent a moi, je vous souhaitte bien du plaisir et un prompt retour c’est de la part de vôtre fidelle Marie….
Je fut fort satisfait de cette reponce, mais il me restea un autre embaras d’esprit de ne pas voir encorre mon pere disposé a m’accorder son agrément : je laissé écouller quelque jours après quoi j’employé des amis et quelques personnes de credit pour pouvoir l’engager ame donner son consentement, ce fut en vain personne ne put obtenir delui une parolle sûre et stable sur la qu’elle je pût compter, j’etois dans la derniere des désolations de me voir a la veille de partir sans avoir pû terminer rien avec lui, mes jours étoients comptez et le jour du départ aprocheoit qu’and il me prît en particulier et après m’avoir interogé sur toutes les circonstances, il me dit (Mon fils vôtre en têtement est inexorable je ne puis vous faire entrer dans vôtre tort, j’ai fait tout ce qu’un vrai pere a ma place devoit faire, et vous n’entrez point dans toutes les raisons que je vous ai détailliez, je suis maintenant prest a vous donner par devant nottaire, le consentement que nous me demandez, mais ce ne sera qu’aux conditions que cette ailliance ne se contractera pas contre le gré d’aucuns parens du côté de vôtre future et particulièrement contre celui de son oncle père de l’Oratoire, puisque c’est de son côté ou consiste la plus grande partie du bien que vous a vez à esperer dans cette famille. Allez retournez vous en a paris et si tôt que j’apprendrai que la chose lui fera plaisir, soyez sur d’avoir de moi tout ce qui sera nesesaire pour conclûre votre mariage).
Si j’eusse été aussi sur d’avoir l’agrément du Pere de l’Oratoire, je n’aurais pas couvé dans mon cœur un si noir chagrin que me causea une telle reponce de la part de mon pere, étant plus que persuadé qu’a ses conditions il n’y avoit rien de consoleant a espérer pour moi !
Ce discour me couppea la parolle et je compris bien des cet heure qu’il n’y avoit pas a revenir contre un tel prononcé. Cela redoublea en moi une si grande tristesse, que tous mes frères et sœurs s’aperçurent bien que Mon pere persisteoit toujours dans sa première volonté ; ils fîrent tous mille et mille supplications pour le flechir et ce fut dans cet instant qu’il tirea de sa poche une lettre qu’il me donnea a lire et voici ce qu’elle contenoit.
Lettre
Monsieur,
Je suis informé du sujet qui engage Monsieur votre fils a vous aller trouver ; je ne prétend point ici vouloir vous donner de conseils sur ce que vous devez faire pour ne pas consentir a l’ailliance qu’il veut contracter avec ma niepce, je ne vois aucunes apparence qu’ils pûsent, vivre lontems heureux ensembles dans les suittes d’un ménage aussi mal assorti qu’il le sereoit, par rapport au peu de santé qu’a ma niepce, de plus, l’un et l’autre sont immunes, et je ne vois rien qui doive précpiter Monsieur vôtre fils a faire un établissement aussi prématuré qu’il le voudroit faire ; j’ay pris la liberté de lui dire mainte fois qu’ilfuyeoit une fortune infaillible pour en preferer une très médiocre en voulant épouser ma parente ; pour moi je vous dis au naturel ce que j’en pense, vous ferez au reste ce qu’il vous plaira, je vous prie seullement de ne me point citter aucunnement n’y de communiquer ma lettre a qui que se soit, je compte sur vôtre discretion, vous obligerez très parfaittement celuy qui se dit estre avec estime
Le Pere F…. de l’Oratoire
J’aurois été lus surpris de la supercherie de la part du pere de l’oratoire, si n’eut été prévenu par quelqu’un quelque jours avant que mon pere avoit reçu une lettre il n’y avoit pas lontems de la qu’elle il fit mistere de qu’elle part elle lui étoit venüe, j’eut aussitôt soubçon de quelque trahison (un amant aussi infortuné que je le suis, me dis-oi-je en moi même) doit s’attende chacque jours a de nouvelles peinnes, mais quoi que je d’eût y estre accoutumé, cette lettre me mortifiea infiniment.
Comme mon pere hygnoreoit les vües qu’avoit ce bon oncle, pour l’opposer à nôtre ailliance, je jugé appropos de l’en instruire, je lui representé que cet oncle avec quelque dessein de marier sa niepce a un marchant de ses amis qu’il croyoit apparemment plus capable que moi de la rendre heureuse, mais il n’y a pas d’apparence (lui dis-je) que le ciel la destine pour un autre que pour moi, elle m’a sincerement déclaré ses sentimens a ce sujet, elle m’estime, je serois le dernier de tous les ingrats si je ne repondois a sa tendresse, ce sont les sentîmens dont mon cœur est remply pour elle, ne blâme donc point ma constance mon pere, et je pense que vous seriez peut-être le premier fasché de vouloir pretendre rompre une si étroitte amitié pour vouloir me contraindre d’en épouser une autre avec plus de richesse et pour la qu’elle je n’aurois assurément que du déhoust et de la repugneance !
Je ne sçai s’il a joûtea foi a ce discours mail il m’en parut atendry et il me promît des cet here même qu’il satisferoit a tout ce que je désirois de lui pour nôtre hymenne. Sur ses assurances, je resolut de partir pour Paris immediattement quelque jours après ; j’ecrivit aussitôt une lettre a la belle Marie, par la quelle, je lui mandé mon retour et lui anoncé la joÿe que j’avois d’avoir en fin obtenu le mon pere ce qui m’avoit en gaé de faire ce voyage !
Peu de jours après j’arivé à Paris et je parut a ma maitresse avec un visage beaucoup plus g’ay et plus serain ; nous nous disposeames tant d’une part que de l’autre a prendre des arrangemens nessesaire pour cette ceremonie , tout s’aprêtea bien tôt avant que mon pere eût satisfait a sa parolle ; une nouvelle inquietude commencea a troubler mon esprit, l’impâtience démesurez dans la qu’elle je me vît de ne resçevoir aucunnes de ses nouvelles, fut un assez grand pretexte pour moi de lui écrire avec beaucoup moins de mesure et de politesse qu’un fils dût a un ere, mes l’exces de langueur dans la qu’elle il me jetea, m’excittea a cette déférence de m’a part ; il s’en picquea avec raison et il me gardea en corre le silence en viron l’espace de deux mois, et j’aurois je croy atendu encorre longtems apres ses nouvelles, s’il n’eût pas été pressé par un de mes cousins qui se mêslea de reparer le tort que j’avois eû d’voir écrit un peu trop librement. Les temoingnages qu’il lui fit des excellents qualitez de cette chere amante, ne contribüerent pas peu a consentir a mon amour : bien tôt mon cousin fut de retour a paris le qu’el m’apportea le consentement de mon pere avec toutes les autres formalitez necessaire pour la conclusion de nôtre mariage, il me rémis tout aux mains avec quelques lettres dont (lesquelles) il y en avoit une pour Ma chere Marie, que je lui remis avec empressement ; elle me la comminiquea, je fut ravy des politesses dont elle étoit remplie ; peu de tems après on passea le contract, il est aisé de simaginer le transport de joÿe dans le quel je me sentit, de me voir aprocher de mon bonheur. Le tems que nous fûmes obligez de prendre sur nous pour les preparatifs de la nopces, nous retardea près de deux mois, ce tems la s’écoullea avec beaucoup moins d’ennuie et d’inquietude, je donné tout de rechef a cette chere Maitresse de nouvelles marques de mon parfait amour chaque jours de noiveaux plaisirs innocens se succedois les uns aux autres, j’étois gay content et l’on me vit toujours egal. Si l’on proposeaoit de faire un tour de promenade j’étois le premier prèsr a partir, si l’on desireoit danser, j’alleois le premier donner la main a l’adorable Marie pour commencer le bal, de même que si lon propôseaoit un piquet ou une reprise de quadrille, je l’accepteaois avec empressement ; mon assiduitté auprès de cette chere personne lui parut des plus regulliere, en efet j’ôse dire sans prevantion, que l’amant le plus pâtionné qu’il y ait peut-estre jamais été au monde, n’auroit rien enchery sur moi. Si elle remarquea mes soings elle admirea bien aussi jusqu'à quel point je poûsé la galanterie que je lui fit en memoire de sa fête, je compôsé quelque bouts rhimez par les quels j’exprimeois ma flâme sa beauté et ses grâces, je touché aussi sur mon bonheur et ma gloire d’avoir si genereusement combattu tant d’ennemis sur les qu’les j’avois remporté si belle victoire : joinds a ce petit ouvrage de mon minerve, j’ccompangné cela d’un petit bouquet de fleurs râre auquel étoit j’attaché un évantail orné d’une peinture en mignature fait de mes mains, je me représenté sous la forme du berger paris qui lui présenteoit la pomme d’or ; cette imagination lui parut assez bien trouvez, elle m’en fit compliment et m’en remerciea pour célebrer cette fête et pour faire la galanterie tout au long, j’accordé ma flûtte parmi l’armonie de plusieurs instrûmens de mes amis avec lesquels je repetté sous ses fenêtres, mille et mille airs plus tendres les uns que les autres ; peu de tems après nous celebreâmes l’heureux jour de nôtre hymene, ce saint lien qui nous a unis tous les deux ensembles jusqu’à ce qu’il plaise a la divinité celeste de nous en séparer.
Fin
Epitalame
Au sujet du Mariage d’entre Michel Hubert et Mademoiselle Marie Fabre la cadette en vers
Fidel et tendre amant, vos voëux sont exaucés, vous possédes enfin et Marie et ses charmes
Elle se donne à vous, et vous rendant les armes
Recompense à présent tous vos travaux passés,
Si l’on a combattu vostre noble désir,
Si l’on s’est efforcé de rompre vôtre chaisne,
Ne vous en plaignés plus, la crainte de la peine
Fait beaucoup mieux goûter la douceur du plaisir.
Fin
Michel Hubert-Descours, Autoportrait et portrait de Marie Jacqueline Fabre, 1770, collection particulière