Parce qu’il fut formé en Languedoc et à Lyon, ou qu’il y reçut des appuis précieux pour son installation à Paris, Rigaud favorisa en premier lieu les artistes issus de ces régions : Charles Viennot (1674-1706), notamment, fils d’Hubert, ancien ami lyonnais, fut un temps hébergé dans l’atelier de Rigaud, en 1705[1]. C’est là, le 24 Juin, qu’il dicte son testament, déclarant demeurer « dans la maison du sieur Rigaud, à l’entrée de la rue Neuve des petits Champs, paroisse Saint Eustache, trouvé au lit malade de corps en une chambre au quatrieme estage ayant vue sur la rue des petits Champs, dépendante de ladite maison où il demeure […] »
Signature de Charles Viennot au bas de son testament de 1705. Paris, archives nationales © photo Stéphan Perreau
Si Viennot ne nous a pas laissé de nombreux témoignages de son œuvre personnelle Louis-René Vialy (1680-1770) et Joseph-André Cellony (1696-1746) furent plus prolifiques. Natifs d’Aix-en-Provence, où le Catalan avait des clients réguliers, ils se spécialisèrent pour le premier dans le pastel et, pour le second, dans des toiles toutes empruntes de l’esprit de son professeur qu’il fit perdurer dans la capitale aixoise.
Le père de Joseph-André, Joseph Cellony (1662-1731), était déjà connu comme « le peintre en portrait le plus distingué qu’il y eut dans cette ville. La ressemblance qu’il saisissait au point qu’on ne pouvait s’y méprendre, la correction de son dessin et la touche hardie de son pinceau dans le genre de Fauchier, lui donnèrent de la célébrité ». Ses portraits de Pierre de Coriolis de Villeneuve, marquis d’Espinouse, de Philippe Mayronnet ou de Léon Alphonse de Valbelle, respectivement gravés par Coelemans pour les deux premiers et par Cundier pour le troisième, montrent déjà une certaine dette envers Hyacinthe Rigaud.
Il est donc tout naturel que le Catalan ait fait appel au fils pour transcrire à Paris, sur papier, le portrait du marquis de Gueidan avant que de l’envoyer au modèle qui piaffait d’impatience à Aix [PC.1271-1]. Cellony « le jeune » sembla ainsi surpasser son père. On jugeait d’ailleurs que sa touche était plus douce que celle de son père et que les étoffes qu’il peignait imitaient mieux la nature, surtout celles de soie, par le transparent et le glacis qu’il y employait. Nul doute que ce portrait de jeune femme (ci-dessous à gauche), au port de tête fièrement campé et directement inspiré de l’effigie de Madame Le Gendre par Rigaud [PC.709], confirme à lui seul ces appréciations[2]. C'est aussi le cas de cet autre ovale (ci-dessous à droite), à la construction simple mais tout aussi efficace[3].
Joseph ou Joseph-André Cellony : portraits de femmes. Coll. priv. © photo service de presse
Malheureusement, le style pourtant bien tranché selon nous de Joseph Cellony, passe encore inaperçu dans les ventes. Pour preuve cette belle paire de portraits, malheureusement en assez mauvais état de surface, proposés à Avignon le 21 décembre 2014 comme écoles françaises du XVIIIe siècle mais qui doivent sans conteste être redonnés à Cellony fils.
Joseph ou Joseph-André André Cellony : portraits d'un couple, v. 1705. Coll. priv. © service de Presse
Fils de Jacques Vialy, peintre sicilien né à Trapani et établi en Provence, Louis-René Vialy débute sa carrière comme décorateur de chaises à porteur ainsi que l’atteste Mariette : « c’étoit un goût très répandu en Province d’avoir des chaises ornées »[4]. Son père avait été naturalisé français par des lettres enregistrées à la cour des comptes d’Aix-en-Provence en 1720[5] et mourut à Aix le 25 décembre 1745, à l'âge de 95 ans. Il fut enseveli le lendemain dans l'ancienne église paroissiale de La Madeleine, auprès de Jean-Baptiste van Loo qui était mort le 29 septembre de la même année.
Louis-René fut tout d’abord élève de son père et fréquenta très tôt les Vernet dont Antoine, peintre décorateur, était un familier de Jacques de Vialy. On prête généralement à Louis-René l’honneur d’avoir formé le jeune peintre de marines Claude Joseph Vernet[6] mais c’est à Jacques que revient en réalité cette formation[7]. Louis-René peindra en 1752 le portrait au pastel de Vernet (Paris, musée de la Marine) et possèdera quelques toiles du paysagiste[8]. Mariette lui attribue également l’orientation professionnelle du graveur Jean-Joseph Balechou. Vialy semble s’être installé à Paris dans les années 1750, rue d’Argenteuil, derrière l’Église Saint-Roch. On trouve sa trace comme peintre de portraits aux salons de l’Académie Royale de Saint-Luc où il expose en 1752, 1753 et 1756 sous le titre de « peintre du Roi » et de membre de l’Académie de Saint-Luc.
Mais auparavant, il avait activement travaillé sous Rigaud dans l’atelier duquel on le retrouve dès 1712 puis en 1714 sous le nom de « Vial ». Il a alors tout juste 32 ans. Ce passage ne nous semble aujourd’hui pas anecdotique car on connaît les relations qu’a eu le peintre catalan avec la famille des Van Loo, lors de son passage lyonnais puis à Paris[9]. À son décès, Louis-René Vialy demeurait rue des Aveugles, sur la paroisse Saint Sulpice à Paris, au-dessus de la boutique d’un perruquier.
Louis-René Vialy : à gauche portrait d'un homme au manteau rouge prisant du tabac, v. 1730. Coll. priv. ; à droite, portrait de femme en Hébé, v. 1720, coll. priv. © d.r.
Il semble que Vialy ait surtout utilisé la technique du pastel, même si l’on connaît aujourd’hui quelques œuvres à l’huile. Dans son Dictionnaire des Pastellistes, Neil Jeffarès décrit les visages de l’artiste comme « facilement reconnaissables : peu expressifs comme ceux de Pierre Allais, ils se distinguent par une certaine douceur. […] Les yeux sont liquides avec la lumière de l’œil en point blanc assez haut à gauche. Il a un traitement caractéristique des tissus avec des plis serrés et des reflets ». La technique au pastel de Vialy correspond au goût de son siècle, héritant ses attitudes en buste de celles de ses contemporains et de Louis Vigée. Par contre, ses toiles adoptent des postures dont la dette est avouée à Rigaud, tel le portrait de femme en Hébé passé en vente en 2007, celui d’un homme en buste au manteau rouge[10] ou à d’autres artistes dont il singe les œuvres[11].
Deux pastels vendus à Châtellerault le 5 décembre 2010, sont venus témoigner plus encore de la dette avouée par Vialy à Rigaud[12]. L’un d’eux, le portrait masculin, s’avère une réduction en buste du portrait du maréchal de Belle-Isle, peint par le Catalan.
Enfin, et pour terminer ce tour d'horizon, on mentionnera les liens étroits qui unissaient le Catalan au graveur lyonnais Pierre Drevet (1664-1738), à son fils Pierre-Imbert (1697-1739) et à son neveu Claude (1697-1781). Selon d’Argenville, Rigaud « avoit un art particulier à faire valoir la gravure, en retouchant les épreuves avec une patience & une intelligence surprenantes ; on peut même dire qu’il a formé les graveurs de son tems ». La dédicace apposée par Drevet au bas de son estampe d’après l’autoportrait de Rigaud au turban [P.594-6-a] évoque clairement avec éloquence les liens qui existaient entre les deux hommes : « Pierre Drevet de Lyon, graveur du roi, a gravé dans le cuivre ce portrait de Rigaud d’après lui-même ; souvenir durable d’un cœur reconnaissant, en échange de l’aide que celui-ci lui apporta dans l’apprentissage de son art par ses sages conseils » (original en latin). On suppose avec raison que les deux hommes vinrent à Paris à peu d’intervalle l’un de l’autre, Drevet suivant Rigaud. Comme le rappelait récemment Gilberte Levallois-Clavel, et outre son fils et son neveu, le graveur formera à son tour trois autres élèves qui furent des transcripteurs privilégiés de l’œuvre du peintre : François Chéreau (1680-1729), Simon Vallée (1680-ap. 1730) et Michel Dossier (1684-1750). Trois autres burinistes fidèles à Rigaud bénéficièrent quant à eux des conseils de Drevet : Gaspard Duchange (1662-1757), Claude Duflos (1665-1727) et Jean Audran (1667-1756)[13].
Pour terminer, la présence en 1695 et 1696 aux côtés du Catalan de François Taraval (1665-1715), peintre et sculpteur, n’est pas le fruit du hasard. Encore méconnu car éclipsé par son fils qui acquit une notoriété à la cour du roi de Suède, Taraval était le fils d’un orfèvre perpignanais[14]. Rigaud se trouvait donc une fois de plus avec un compatriote à ses côtés…
[1] Paris, arch. nat., MC, ET/VII/250. Résumé en partie dans Rambaud, 1971, p. 398.
[2] Huile sur toile, H. 81 ; L. 66. Vente galerie Gilberto Zabert, Dipinti Antichi, Turin, 24 novembre - 23 décembre 1984, n°24 (attribué à Alexis Simon Belle). Un autre portrait de femme, attribué à l’école de Largillière, présente un habillement très similaire (huile sur toile, H. 81 ; L. 65. Vte Paris, hôtel Drouot, Kahn-Dumousset, « Mobilier du Château de la Haichois », 7 novembre 2012, lot. 80).
[3] Huile sur toile, H. 28,5 ; L. 22,5. Vente Tajan, 20 juin 2012, lot 86.
[4] Pierre-Jean Mariette, Abecedario de P.-J. Mariette et autres notes inédites de cet auteur…, ouvrage publié par Ph. de Chennevières et A. de Montaiglon, 6 vol., Paris, 1851-1860.
[5] Reg Papyrus, fol. 216. Cité dans Roux Alphéran, 1846, I, p. 86
[6] N. Jeffarès, 2006, p. 338.
[7] Lagrange, 1864, p. 5-6.
[8] Tel ces deux tableaux exposés au Salon de *1757 : « Deux tableaux de chacun de deux pieds six pouces sur deux pieds – n° 66. L’un représente une Mer par un temps d’orage ; N°67. L’autre un paysage avec une chute d’eau. Ces tableaux appartiennent à M. Viali. » cf. Lagrange, 1864, p. 464.
[9] Rigaud suggérera le nom de Louis-Michel Van Loo, en 1737, lorsqu’il s’agira de trouver un peintre officiel à la cour de Madrid.
[10] Huile sur toile, H. 82,5 ; L. 67. Vente, Paris, hôtel Drouot, Delorme-Collin du Bocage, 17 mars 2005, lot 41.
[11] C’est notamment le cas du portrait du Régent (Vente d’une grande collection princière et divers, Paris, Drouot Montaigne, Picard, 22 juin 1992, lot. 10 reproduit), repris d’après le tableau fait par Jean-Baptiste Santerre en 1717 et dont un exemplaire est actuellement conservé au musée du Prado à Madrid (Voir le catalogue de l'exposition « L'Art européen à la Cour d'Espagne au XVIIIe siècle », Paris, 1979, n° 79 reproduit).
[12] H. 76 : L. 60 cm, lots 410-411. Stéphan Perreau, « Version Belle-Isle remaniée à Chatellerault », [en ligne], 12 décembre 2010, www.hyacinthe-rigaud.over-blog.com.
[13] G. Levallois-Clavel, « Pierre Drevet, graveur du roi interprète de Hyacinthe Rigaud », Nouvelles de l’estampe, juin 2008, n°218, p. 20.
[14] Voir le contrat de mariage du 19 juillet 1700 entre Taraval demeurant rue Saint-Victor à Paris, et Catherine Masson (Paris, arch. nat., MC, ET/I/215 ; cité par Rambaud, 1964, p. 387). Notons que par un curieux hasard, le peintre et petit-fils de François Taraval, Hugues (1729-1785), se trouva marié sept mois avant sa mort avec une nièce à la fois du peintre Luigi Domenico Soldini (1715-ap. 1775) et du secrétaire des postes Antoine Benoît Soldini, époux de la fille de Jean Ranc…