À l’instar de Gaspard Rigaud et surtout de Jean Ranc, qui fut le diffuseur de l’art de son maître en Espagne, certains collaborateurs furent particulièrement courtisés du public pour leur proximité avec le célèbre portraitiste. C’est le cas de Charles Sevin de La Penaye qui travailla officiellement aux côtés de Rigaud de 1714 (date de la dernière année de Bailleul) à 1726.
Signature autographe de Charles Sevin de La Penaye au bas de son testament du 23 mars 1740 (Paris, arch. nat., MC, ét., XXXVIII, 311) © photo Stéphan Perreau
La Penaye naquit à Fontainebleau le 16 novembre 1685, d’un père gouverneur des oiseaux de pêche du roi. Son parrain, Raymond Meusnier, officiait comme conseiller du roi, président à l’élection et officier de grenier à sel de Melun et sa marraine, Rose Paulmier, était l’épouse de Guillaume de Verneuil, lieutenant des chasses de la capitainerie de Fontainebleau[1]. On connaît peu de choses sur sa formation mais ses rares œuvres autographes montrent un pinceau généralement très moelleux, au travers lequel on ne sent aucune besogne. Son talent était apprécié de Rigaud et nombreux furent les portraits dits « originaux » du Catalan qui furent en réalité complètement habillés par La Penaye[2]. Dès 1705, il eut l’honneur de pouvoir apposer sa signature à côté de celle son maître, à même le grand portrait de Bossuet [PC.903][3].
Hyacinthe Rigaud avec la participation de Charles Sevin de La Penaye, portrait de Bossuet, évêque de Meaux (détail). Paris, musée du Louvre © photo Stéphan Perreau
On voit encore le nom de « Sevin » sur un signet dépassant d’un livre en bas de la composition. En 1718, La Penaye reçoit 10 livres pour « l’habillement à un buste de M[onsieu]r l’évêque de Troye [*P.546] que je n’ay pas entièrement fait », ce qui montre qu’il fut chargé un temps de tenir les comptes de son maître[4]. Rigaud lui confiait alors toutes sortes de travaux, de l’ébauche à la retouche jusqu’à l’élaboration de vêtures. Tout comme ses collègues Leprieur et Bailleul, il savait aussi bien reproduire une marine d’après un modèle antérieur, des bustes entiers[5], des têtes, des fonds, qu’ajouter « le cordon bleu et rabat au buste du Cardinal de Rohan [*P.1066], […] l’ordre de la Toison d’or au portrait du Maréchal de Villars [P.835], […] l’Ordre du Saint-Esprit au portrait de M. de Vertamont [*PC.627], […] un morceau d’étofe d’or à un buste »…
Alors même qu’il officiait encore sous Rigaud, La Penaye fut très vite courtisé par une clientèle extérieure à l’atelier mais, pour l’avoir fréquenté, toute acquise aux modèles du Catalan. Ainsi, en 1722, l’agent du prince de Monaco [PC.914] en France, le Bolonais Domenico Bernardoni, avait été chargé par son souverain de choisir un artiste capable de lui fournir des copies fidèles de portraits de maréchaux, destinées à la salle des Conquêtes de son palais monégasque : « Dans l’appartement que je me suis pratiqué tout proche de celuy de Madame de Monaco, il y a un salon où j’ay fait mettre les Conquêtes peintes sur les estampes de Van der Meulen, que je compte décorer par le portrait du feu Roy en buste tel que je l’ai ici et par ceux que je vous demande pour en achever l’assortiment ; savoir : les portraits en buste et en carré long (sept portraits) du grand prince de Condé, de M. de Turenne, de M. le maréchal de Créqy, de M. le maréchal de Luxembourg [*P.320], de M. le maréchal de Vauban [PC.848] et de M. de Louvois, plus celuy de M. le maréchal de Catinat. Je me flate qu’on ne vous refusera pas, dans les maisons de ces grands hommes, les originaux de leurs portraits les plus modernes, pour avoir des copies de la main d’un bon peintre[6] ». Bernardoni « pista » donc les œuvres chez les descendants des modèles et, assuré de tenir à la fois un bon informateur et un habile succédané de Rigaud, il choisit La Penaye. Le peintre donna entière satisfaction, informa de la localisation du portrait de Vauban et fit montre de ses capacités d’invention. L’agent écrivait ainsi en 1723 au prince que « la copie du portrait de M. le maréchal de Catinat qu’elle va recevoir vaut beaucoup mieux que l’original de Ferdinand[7], sur lequel elle a été tirée, l’habile copiste ayant sçu corriger les défauts ; tant il est vray qu’il faut toujours se servir de gens propres à réussir, quoyqu’il en coute un peu plus de temps ».
Charles Sevin de la Penaye, (à gauche) portrait du cardinal de Bissy extrapolé d'après Rigaud, Meaux musée Bossuet © d.r., (à droite) portrait de l'abbé Pucelle d'après Rigaud, Paris, coll. priv. © photo Stéphan Perreau
C’est donc tout naturellement que le 6 mai 1733, Hyacinthe Rigaud offrit à La Penaye la jouissance d’une action intéressée de la Compagnie des Indes[8] qu’il récupèrera le 21 mars 1741, suite au décès de La Penaye survenu le 17 mars 1740 dans un appartement qu’il louait rue Montmartre. Le peintre ne laissa que peu de biens à ses héritiers restés à Fontainebleau mais, parmi les quelques tableaux que l’on répertoria, on note un « Louis XV dans sa jeunesse » que nous avons récemment identifié [P.1287-2], et qui, ajouté à la belle version du Pucelle [P.12902], atteste de ses capacités[9].
L’entreprise créée par Hyacinthe Rigaud avait une telle capacité à se diversifier qu’elle se mit elle aussi à répliquer ou « développer » les œuvres d’autres peintres. Ainsi, à l’occasion de la confection de leurs portraits respectifs ou de l’achat de copies d’effigies officielles, certains modèles confiaient à l’atelier, et avec l’approbation du maître, leurs propres tableaux de famille. C’est le cas du comte de Guiscard qui se fit peindre en 1699 [*PC.604][10], bientôt suivi par son épouse trois ans plus tard [*P.819]. En 1704, alors qu’il venait tout juste d’obtenir l’élection de ses fiefs en marquisat l’année précédente, le couple revint pour passer commande de copies de ses effigies « de même grandeur » ainsi qu’une autre d’après un portrait de Louis Auguste (1680-1699)[11], leur fils défunt qui n’avait pas été peint par Rigaud. S’ajoutèrent à la facture, quatre copies « des ancestres » du comte, originaux d’un autre artiste. Il est tout à fait probable aussi qu’en 1706, par exemple, les aides de l’atelier eurent à dupliquer des portraits venus une fois de plus de l’extérieur. C’est le cas de Monmorency qui se voit confier « une coppie entière de la mère de Mr Chevalier », rémunérée 10 livres et dont aucun original ne peut lui être rattaché dans les comptes du maître[12]. Même chose avec Louise-Catherine de Proisy de Conflans, dame de Vézilly, à la fois belle-mère et tante du marquis de Dromesnil [*PC.941], qui profite du troisième passage de son gendre devant le pinceau de Rigaud pour faire dupliquer à Jacques Charles Delaunay son propre portrait de famille[13].
Parfois, le goût du Catalan fut consulté lorsqu’il s’agissait de transformer une effigie en se substituant à la disparition de son auteur. Ainsi, dix ans après la mort de Robert Gabriel Gence (v. 1670-1728), un disciple bayonnais de Largillierre, l’une de ses modèles, Marie-Anne de Neubourg, reine d’Espagne exilée à Narbonne, souhaita offrir aux échevins de sa ville une copie de son portrait en buste fait par Gence et alors conservé à Paris. On chercha un copiste et, dans une lettre du 8 février 1738, François de Laborde écrivait avec assurance à Jean-Louis de Roll-Montpellier [P.1201], l’un des modèles conjoints de Rigaud et de Ranc : « Au surplus, s’il n’y a point de modèle pour l’addition à faire au buste, le dessin sera donné par M. Rigault, et l’ouvrage fait sous ses yeux[14]. »
[1] Fontainebleau, registre des baptêmes. Archives départementales de Seine-et-Marne, 5MI3871, f° 41 v°.
[2] C’est le cas notamment du maréchal de Belle-Isle [PC.1186], des marquis d’Ancenis et de Montrevel [*PC.1124 & *PC.1126] ou de madame Thiroux de Villercy [*PC.1204]…
[3] Sur les œuvres autographes que l’on connaît de lui, il signait : « Sevin. Hyacinthe Rigaud », suivi de la date.
[4] Rigaud ne s’embarrassait pas de la confection des répliques réduites d’après ses originaux, ce qui tend à prouver que ce travail d’habillement d’une copie en buste du portrait de Denis-François Bouthillier de Chavigny fut peint puis inscrit par La Penaye lui-même.
[5] Sa version du portrait de l’abbé Pucelle est à ce titre confondante [P.1293-2].
[6] Lettre du prince de Monaco du 12 mai 1722 (Gustave Saige, Glanes d’archives. Les Grimaldi chez eux et en voyage, Monaco, 1906, p. 263).
[7] Louis Ferdinand Elle (1648-1717).
[8] Paris, Arch. nat., Y 335. Datée du 2 janvier 1731 (n° 23979) ; Ibid., MC, ET/XCV/121, 9 mai 1733, donation entre vifs par Hyacinthe Rigaud à Lapenaye (cité par Wildenstein, 1966, p. 144).
[9] Dépôt du testament de La Penaye, du 8 juillet 1739, déposé chez Gillet, notaire à Paris le 28 mars 1740 à l’occasion de l’inventaire après décès du même jour (Paris, Arch. nat. MC, ET/XXXVIII/311) : sont recensés dans une chambre au troisième étage ayant vue sur la cour, 10 tableaux sans bordures : un Ecce homo, un saint Pierre et un saint Paul, un Moïse trouvé sur le bord de l’eau, Le fils de Dieu allant au Calvaire, un maréchal de France, deux sujets de La Fable, deux portraits d’hommes, un tableau de fruits (avec bordure de bois sculpté), deux estampes figurant les filles de Jethro (dans leurs bordures), Louis XV « dans sa minorité », deux tableaux dont un représentant un paysage (dans sa bordure). On note également une palette, son couteau et une paire de pinceaux, sept à huit pots de couleur, deux chevalets, deux supports et quatre cadres de tableaux. À côté, « une boite de bois de chesne ou s’est trouvé soixante seize estampes de différentes grandeurs représentant différents sujets ». Dans un cabinet pratiqué à côté de la cheminée par une cloison sont découverts quatre tableaux esquissés et quarante volumes de livres reliés tant in 4° qu’in 8° traitant de différents sujets de dévotion. Signalons enfin qu’aux côtés d’Éloy Fontaine, La Penaye avait également signé comme témoin au mariage de la fille de Benevault en 1739.
[10] Il paye aussi une copie du portrait du Louis XIV de 1694, payée 600 livres et exécutée par Ranc [*PC.387].
[11] Roman, 1919, p. 110. Mais les exemples sont légion (comme avec La Penaye qui, en 1721, habille le buste d’un homme « de la connaissance de Mr Forcadel »).
[12] Ms. 625, f° 21. Roman, 1919, p. 129
[13] Ms. 625, f° 20, Delaunay (« la belle mère de mr de Romenil », 14 L) ; Roman, 1919, p. 129.
[14] Ribeton, 1999, p. 43.