Nous ne savons pas tout à fait quand l’atelier d'Hyacinthe Rigaud fut véritablement constitué mais, le 11 octobre 1692, il employait déjà deux aides[1], très probablement son frère Gaspard (1661-1705) et, peut-être le jeune Jean Ranc (1674-1735).
Extrait du contrat d'apprentissage de Gaspard Rigaud dans l'atelier d'Antoine Ranc. 1678.
Montpellier, archives départementales - 2 E 57 274 © photo Elsa Trani
Le premier, dont on ne connaît que peu d’œuvres, était peut-être venu dans la capitale rejoindre son aîné dès 1683, date de la fin de son apprentissage languedocien[2]. Comme Hyacinthe en effet, Gaspard était allé se former à Montpellier dans l’atelier d’un des peintres les plus sollicités de la région, Antoine Ranc (1634-1716) dont le fils, Jean (1674-1735) allait épouser quelques années plus tard à Paris sa fille cadette, dont il était par ailleurs le parrain. Le jeune Ranc, devenu par ailleurs élève d’Hyacinthe Rigaud, scellait ainsi définitivement l’union entre deux familles, devenant l’héritier présomptif de son beau-père et l’héritier artistique de son professeur.
Hyacinthe Rigaud, portrait de Gaspard Rigaud, 1691.
Perpignan, musée Rigaud © d.r
Le 28 mai 1678, ce dernier avait d’ailleurs signé comme témoin du contrat d’entrée en apprentissage de son frère à Montpellier[3]. Grâce aux travaux novateurs de Julien Lugand sur le patrimoine catalan, nous savons également que Gaspard avait débuté sa carrière par un apprentissage chez un maître cordier à Perpignan, dès 1674. Ses première productions sont teintéesnde l'influence de son aîné dont il reprend les codes de poses, de style et d'attitudes. Plusieurs ovales allant par paire réunissant Madame et Monsieur, sont ainsi parvenus jusqu'à nous.
Gaspard Rigaud, portrait d'un couple non identifié, 1699
(selon une acienne inscription rapportée au dos du chassis « fait par Rigaud le jeune 1699 »).
Perpignan, musée Rigaud © d.r.
Gaspard Rigaud, portrait d'un couple non identifié, 1698.
(selon une inscription autographe conservée au revers de la toile d'origine du portrait d'homme : « fait par Rigaud / le jeune 1698 »)
Rome commerce d'art (Casa d'Aste Arcadia) le 22 mars 2022 © Arcadia
Gaspard Rigaud, portrait d'un couple non identifié, 1699.
Paris, commerce d'art le 23 octobre 2006, lot. 93 © Tajan
En 1692, Gaspard Rigaud devait déjà être bien intégré au milieu parisien car, le 28 janvier, et après être passé la veille devant notaire pour l’établissement de son contrat de mariage, il s’unissait en l’église Saint-Eustache avec Marie-Marguerite Caillot (v.1671-1737), fille d’un marchand épicier. Il en aura trois enfants : Hyacinthe (1693-v.1725) qui reçut le parrainage logique de son illustre oncle homonyme, une fille (1695-av.1705)[4] et Marguerite Élisabeth (1697-1772). Quittant la rue Neuve-des-Petits-Champs, à l’entrée de la place des Victoires et de la rue de La-Feuillade où il passa chez son frère les premières années de sa carrière, il rejoignit dès son mariage le domicile tout proche de ses beaux parents, marchands épiciers qui tenaient boutique rue Montmartre, vis-à-vis la rue du Mail, de l’autre côté de la place. Il demeurera dans ce quartier jusqu’à sa mort, le 28 mars 1705.
Gaspard ne collabora donc que peu de temps avec Hyacinthe mais il eut le temps d’être agréé à l’Académie en 1701. On lui commanda comme morceaux de réception les portraits du sculpteur Jean-Melchior Raon (1630-1707) et du peintre Antoine Coypel [*P.11040][5] qu’il ne remit cependant jamais, du fait de ses occupations aux sein de l’atelier de son frère. Probablement malade, il fut même absent du célèbre Salon de 1704. Les rares tableaux que l’on conserve de lui, signés habituellement au dos « fait par Rigaud le jeune », montrent un véritable suiveur de l’art de son aîné, comme dans ce portrait de gentilhomme au manteau rouge que nous avions examiné dès 2003[6].
Si, dans les années 1970, François Macé de Lépinay concédait dans un article pionnier que l'on ne conservait alors que peu de toiles attribuables avec certitude à Gaspard Rigaud, suffisamment de portraits ont aujourd'hui réapparu pour reconnaître le style de l'artiste : tout en singeant les postures de son frère, le peintre peignait habituellement les visages de ses modèles avec des mines souvent « enfantines », caractérisés par un regard étrangement figé que donnent de grands yeux ronds. N’échappent pas à la règle un portrait de jeune militaire[7], l’effigie jusqu’ici anonyme d’un parlementaire que nous lui attribuons[8] et, surtout, celle perdue, mais gravée par François Chéreau, de Charles Nicolas Taffoureau de Fontaines, évêque d’Aleth.
Gaspard Rigaud et Hyacinthe Rigaud, Portrait des enfants de Monsieur Bouette de Blémur, 1703.
Restauré par Patrick Butti - Collection particulière © Christie's Ltd
Le 8 mai 1705, lorsque la famille Caillot fit faire l’inventaire des biens du défunt compris dans quatre chambres réparties sur deux étages de la maison familiale[9], on trouva les modestes témoins de son art : 200 petites esquisses sur toile, 57 sur papier, 100 académies au crayon, 28 portraits inachevés, 16 autres académies peintes, un Christ en croix, un paysage et six copies dont deux d’après Charles de La Fosse [P.32] et une d’après Carlo Maratta (1625-1713). Un « Saint François de Paule », figuré tenant son bâton dans la plus pure tradition iconographique de l’ermite est, à l'heure où nous écrivons, le seul témoin de l’œuvre religieuse de Gaspard qui soit parvenue jusqu’à nous[10].
À gauche : Attribué à Gaspard Rigaud, portrait d'un parlementaire. Perpignan, musée Rigaud. Inv. 834.1.1 © musée Rigaud
À droite : François Chéreau d'après Rigaud, portrait de Charles Nicolas Taffoureau de Fontaines, évêque d’Aleth.
Perpignan, musée Rigaud © photo Stéphan Perreau
Comme tout académicien, il avait enfin étudié les maîtres. En témoignent quatre livres d’estampes de Calot[11], celui figurant des bas-reliefs ou ceux des Antiques de Perrier[12] et des Esloges de Raphaël…
À gauche : Gaspard Rigaud, portrait d'homme, 1701. Perpignan, collection particulière © d.r
À droite : Gaspard Rigaud. Saint François de Paule. Perpignan, musée Rigaud © phoho Stéphan Perreau
À gauche : Gaspard Rigaud, portrait de magistrat. Saintes, musée des Beaux-arts. Inv. 1986.4.1B
Signé au dos de la toile : « anno aet sua 40 fait à Paris par Gaspard Rigaud en 1694 »
© Musées de la Ville de Saintes, Michel Denis
À gauche : Gaspard Rigaud, portrait d'homme, v. 1690. Indianapolis Museum of art. Inv. 56.56 © d.p.
Gaspard Rigaud, Portrait des époux Rastel de Rocheblave, 1698.
Paris, collection privée © d.r.
Travaux réalisés par Gaspard Rigaud pour son frère
Année | Nature du travail |
Rémunération (en livres) |
1695 | Une copie de Mr le marechal de bouflairs Trois copies en buste du même portrait Habillé Mr De Romeny Habillé Mr Du Rufuge Une teste de Mr De bouflairs Une copie de Mr de vauré La draperie de Mr de St Remy Celle de Mr De la touche Cinq draperies a des copies de mon portrait Une autre copie de Mr le Comte Jugne Deux copies de Mr Bégon Une de Mr munier Une de Mr de Bouflairs |
60 |
[2] Pour une première approche voir François Macé de Lépinay, « Un peintre méconnu : Gaspard Rigaud », BSHAF, Paris, 1972.
[3] Émile Bonnet, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art du Bas-Languedoc, Montpellier, 2004, p. 404-405 ; James-Sarazin (Ariane), « Hyacinthe et Gaspard Rigaud à Montpellier. Documents inédits », dans Études héraultaises, n° 41, 2011, p. 1-11 et 188.
[4] Son acte de baptême n’avait pas été relevé dans son intégralité par Jal avant que les archives de Paris ne brûlent. L’acte de tutorat des enfants de Gaspard Rigaud que nous avons retrouvé dans les archives du Châtelet de Paris en date du 8 mai 1705, montre qu’elle était déjà décédée à cette date (Paris, Arch. nat., Y4144).
[5] Montaiglon, 1875-1892, III, p. 320.
[6] Huile sur toile, H. 82 ; L. 66. « fait par Rigaud le jeune – 1696 ». Ancienne collection Lepers ; vente Christie’s, Paris, 22 juin 2005, lot. 73.
[7] Huile sur toile ovale, H. 81 ; L. 65, signé au v° « fais par gaspar Rigaud Le Jeune à Paris en 1694 ». Vente Christie’s New-York, 10 janvier 1990, lot 55.
[8] Huile sur toile, H. 81 ; L. 64. Perpignan, musée Hyacinthe-Rigaud. Inv. 834.1.1.
[9] Mathieu Goudin, le notaire chargé de la rédaction de l’acte était le principal locataire de la maison. Il deviendra l’ami de Jean Ranc, témoin à son mariage et son notaire ordinaire.
[10] Huile sur toile, H. 100 ; L.81 cm. Perpignan, musée Hyacinthe-Rigaud. Signée et datée au verso « Rigaud le jeune 1701 ».
[11] Jacques Calot (1592-1635).
[12] François Perrier (1594-1650), Statuae urbis Romae. A Paris, chez la veufue de deffunct Perier [sic], et à présent chez de Poilly, s.d. [2e moitié du xviie siècle]. Sur le rôle formateur des antiques de Perrier et des œuvres de Raphaël voir Stéphanie Trouvé, « Palladia Tolosa : l’héritage de l’Antiquité dans la peinture à Toulouse au xviie siècle » dans « Héritage de l’Antique. Delphes, Pallas », Revue d’études antiques, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, n° 58, 2001, p. 60 : « Dupuy de Grez évoque dans son Traité [Traité sur la peinture pour en apprendre la teorie & se perfectionner dans la pratique. Par Me. Bernard Dupuy du Grez, avocat en Parlement, À Toulouse, Chez la Veuve de J. Pech & A. Pech, 1699] à plusieurs reprises l’utilité des gravures de Perrier dans la formation des jeunes peintres. Ainsi il leur conseille de commencer par dessiner des parties du visage séparément avant de copier des têtes entières et de procéder de la même manière pour le reste du corps. Il ajoute que “les figures de Raphaël Santio, prises séparément une à une, & les antiques de François Perrier, sont d’un très-bon usage pour cela, ce qu’il faut faire par intervalles, sans les accabler, leur faisant bien remarquer la proportion & la beauté de ce qu’ils imitent.” »