Mémoire contre Rigaud et autres peintres privilégiés - 10 septembre 1693

« Mémoire contre Rigaud et autres peintres privilégiés » - 10 septembre 1693

Paris, Bibliothèque Nationale, réserve des imprimés

Collection Morel de Thoisy, t. 72, f° 331 & 361

« Au Roy et à nos seigneurs de son Conseil – 10 septembre 1693,

Les gardes et jurés de la communauté des maistres peintres et sculpteurs de Paris remontrent très humblement à Votre Majesté que […] le nombre extraordinaire de personnes qui professent la peinture dans Paris sans aucune qualité et le préjudice considérable que cet art en pouvoit souffrir a obligé les supliants à poursuivre l’exécution du règlement (par lequel tous ceux qui se qualifiroient peintres et sculpteurs du Roy seroient tenus de s’unir et incorporer incessamment au corps de l’Académie Roialle) du 8 février 1663 ; dans cette vue ils exhortent le Sieur Rigaud qui proffesse cet art avec beaucoup de succès et pour lequel ils ont toujours eu une extrême considération, de se faire recevoir dans l’Académie ou dans la communauté, ce après luy avoir fait sur cela toutes les honnestetés possible, le supliant voyant qu’il n’y répondoit que par des hauteurs et des airs de fierté insuportables, ont été forçés par leur devoir de prendre la voye de la justice ;

le 11 octobre 1692, ils allèrent chez lui avec un huissier au Châtelet, ils le trouvèrent travaillant à des portraits et faisant travailler deux personnes avec lui ; l’huissier en dressa son procès-verbal duquel le sieur Rigaud fut assigné au Chastelet pour voir dire qu’il se voit tenu de se faire recevoir maistre de la Communauté ou Académicien et que jusque là deffanses luy seroient faites de travailler ; d’abord le Sieur Rigaud se présenta au Chastelet, y constitua procureur et y fit même donner copie aux supliants d’un prétendu privilège de peintre suivant la cour du 4 novembre 1692, dont le Sieur Grand, prévost de l’Hôtel, luy avait permis de jouir jusques au dernier décembre suivant ; […] parfaitement instruit du ridicule sauf correction d’un pareil privilège, […] il fit assigner à la Prévosté de l’Hotel les supliants pour être déchargé de l’assignation à luy donnée au Chastelet et estre maintenu dans le privilège qu’il prétendait avoir […]. D’un costé, les supliants obtinrent que le Sieur Rigaud seroit tenu de se faire recevoir maistre, sinon et à faute de ce faire dans huitaine que defanses luy seroient faites de plus entreprendre sur l’art de peinture et sculpture, à peine de confiscation et d’amande et pour l’entreprise par luy faite condamné à 40 sols d’amandes et aux dépens, et par un jugement du Lieutenant Général de Police du 14 novembre 1692 non seulement cet avis fut confirmé mais les demandeurs furent déchargés de l’assignation à eux donnée à la Prévosté de l’Hotel, laquelle fut déclarée nulle.

D’autre côté, le Sieur Rigaud obtint deux sentences en la Prévosté de l’Hotel, la première du 14 novembre 1692 qui retient le différent d’entre les parties faisant déffanses de procéder au Chastelet ny ailleurs à peine de 500 livres d’amandes, la seconde du 18 qui déclara la sentence du Chastelet nulle, maintint le Sieur Rigaud dans son privilège, fit deffanses aux demandeurs de l’y troubler à peine de 500 livres d’amandes et pour l’avoir fait condamner à 60 livres d’amandes. »

Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan