GOUY Marguerite Élisabeth de

Catégorie: Portraits
Année : 1707

 

*P.1060 & P.1437

Âge du modèle : 39 ans

Huile sur toile
H. 80 ; L. 65 cm
Perpignan, musée Rigaud. Inv. R.F. 10.

Historique :

Tête commencée en 1707 ou 1708 selon Hulst pour un portrait achevé en 1742 ; collection  Hyacinthe Rigaud jusqu'à sa mort ; son inventaire après le décès, 1744 ; legs Marguerite-Élisabeth Rigaud-Ranc, 1744 (et legs de l'esquisse à Marguerite-Charlotte Le Juge, belle-fille de l’artiste, 1743) ; collection Marguerite Antoine Ranc, 1772 ; collection Antoinette Marguerite Françoise Soldini ; collection du peintre Constant Mongé-Misbach (1806-1871) ; son legs au Louvre, 1871 ; dépôt à la Mairie de Brionne, 1876 ; retourné au Louvre en 2004 ; dépôt du Louvre au musée Rigaud en 2009.  

Bibliographie :

Hulst/3, p. 199 ; Le Blanc, 1847, n° 145, p. 114-115 ; Portalis et Béraldi, 1880-1882, III, p. 705 (n° 55) ; Guiffrey, 1883-1885, IV (1884), p. 58 ; Gallenkamp, 1956, p. 111 ; Colomer, 1973, p. 116, 144, 150 ; Charles, 1979, n° 73, p. 11 ; Angrand, 1985, II, p. 114 ; Louvre, cat. som., V, 1986, p. 327 ; Perreau, 2004, p. 64-68 ; Perreau, 2005, p. 49 ; James-Sarazin, 2009/1, n° 64, p. 128 ; James-Sarazin, 2009/2, p. 72-73, 89 ; Perreau, 2013, cat. P.1437, p. 303 et cat. *P.1060, p. 217-218 ; James-Sarazin, 2016, II, cat. P.1039, p. 345-347 [« pesalonint» (?) v. 1707-1710].

Œuvres en rapport :

  • 1. Huile sur toile d’après Rigaud, H. 71 ; L. 57. Localisation actuelle inconnue (vente, Paris, 13-15 avril 1905).
  • 2. Gravure de Johann Georg Wille datée de 1743. En buste, en contrepartie, dans une fenêtre de pierre décorée d’un drapé à gauche. Sous la fenêtre, sur un tissu en guise de rideau : « Elizabeth de Gouy / Femme d’hyacinthe Rigaud, / Ecuier noble cito.en de perpignan, / Ch.v.r de l'ordre de St Michel, / Rect.r et ancien Direct.r de l'Acad.e / Royale de peint.re Sculpture. » Sous le trait carré, respectivement à gauche et à droite : « peint par hyacinthe Rigaud, chev[alie]r de l’ordre de St. Michel – Gravé par Jean George Will à paris 1743. ».

Descriptif :

C'est grâce au commentaire d'Hendrick van Hulst à l'occasion de son catalogue des estampes faites d'après Rigaud que nous pouvons supposer la première fixation sur la toile du visage de Marguerite Élisabeth de Gouy (v.1668-1743), fille de Jérome de Gouy et de sa seconde épouse, Marguerite Mallet. C'est le 19 mai 1710 que la jeune femme épouse son peintre par contrat passé devant Simon Cosson, notaire au Châtelet. Disparu des liasse de ce dernier aux Archives nationales, on en connaissait néanmoins les grandes lignes grâce à une expédition prisée lors de l'inventaire après décès de Rigaud. Il y était spécifié qu'aucune communauté de biens n'était prévue « et que chacun jouirois a pars des biens tant meubles qu’immeubles qui luy appartenoient, en faveur duquel mariage ceci led feu sieur Rigaud a fait donnation à lad Dame son épouse de douze cens livres de rente viagère et de douze cent livres en especes à prendre sur le mobilier de la succession dud sieur Rigaud après son décès et des meubles mentionnés audit contrat, et en l’état y annexé dans le cas ou elle le survivrois ». Un exemplaire du contrat (l'original ?), passé en vente publique durant l'hiver 1970-1971 chez Norssen, témoignait en outre qu'onze pages avaient été nécessaires pour décrire des différentes conditions de l'union sans qu'on ne les connaisse précisément 3. C'est sans doute le même document qui était passé en vente chez J. Pearson & Co à Londres en 1911 (lot. 40) : « L'Original [du] Contrat de Mariage, daté de Paris, 19 mai 1710, entre Hyacinthe Rigaud, citoyen de Perpignan, peintre ordinaire du Roi, et professeur à son Académie Royale, demeurant à Paris, Place des Victoires, rue de la Feuillade, dans le paroisse de Saint-Eustache, et Dame Elizabeth de Gouy, veuve de Jean Lejuge, demeurant rue de Grenelle dans la paroisse de Saint-Eustache. »

La description de l'acte, très précieuse, nous confirme qu'il était convenu entre eux, devant François Robert Secousse, prêtre, docteur en théologie, curé » de l'église paroissiale Saint-Eustache et Jean François Patornay, prêtre, supérieur de l'Oratoire, que la cérémonie religieuse serait célébrée comme à l'ordinaire le plus tôt possible. On stipulait que la future épouse aurait le pouvoir de vendre tous ses biens présents ou futurs sans autre autorisation et que Rigaud lui conférait par acte de donation une rente viagère de 1200 livres à prélever sur ses biens dont elle pourra jouir à compter du jour de son décès (le capital devant revenir à ses héritiers collatéraux au décès de sa future épouse). Le peintre lui accordait également 1200 autres livres à payer, en une seule fois, immédiatement après sa mort. Enfin, il lui léguait tous les meubles de sa maison de campagne de Vaux sous Meulan, « tels que décrits dans l'inventaire et le certificat annexés, se réservant le pouvoir de vendre ou d'enlever lesdits meubles, auquel cas cette donation s'appliquera aux meubles qui existeront à la date de son décès ». Suivait en effet l'inventaire des meubles de la propriété de Vaux, ainsi qu'un certificat daté du 25 sept. 1702, attestant que la nouvelle mariée, alors épouse de Jean Lejuge, reconnaissait « avoir pris possession et pris en charge les meubles contenus dans le pays maison à Vaux sous Meulan, et s'est engagée à la conserver et à en rendre compte et à la restituer audit Rigaud lorsque requis ». Il s'agissait de l'ancienne propriété proche du pavillon de Vaux-sur-Seine (qui sera construit, plus tard, en 1714), achetée par Rigaud aux parents de sa future femme en 1694.

Les de Gouy connaissaient donc l'artiste depuis un moment puisque l'on sait qu'il leur avait plusieurs fois apporté son aide financière. À cette même date, il confectionne également le très élégant portrait de la famille le Juge, rassemblant au sein d'une même composition, Marguerite Élisabeth, son époux Jean Le Juge et leur fille, Marguerite Charlotte.

Le Juge décède peu avant 1706 et c'est alors que Rigaud peint une nouvelle fois sa veuve comme l'indique Hulst qui décrit l'autoportrait de Rigaud peignant l'ovale de son épouse qui sera gravé par Jean Daullé en 1742 : « Peint en 1742. Le corps de cet ouvrage s’entend, la tête étant de 1707 ou 1708 », ajoutant que Marguerite Élisabeth est représentée en « buste sans mains, que l’auteur n’a achevé que vers la fin de la vie de sa femme, plus de 30 ans après avoir fait la tête. »

Dans cette première version, peinte en 1707-1708 (et dont Daullé s'inspira), le drapé du manteau s'avère beaucoup plus sobre que dans la version du même portrait que gravera Wille. On note aussi sur un fond de pierres de taille, la colonne cannelée chère aux jeunes années du peintre. Il est donc probable que Rigaud ait confectionné le visage de sa modèle à l’occasion de leur mariage en 1710 et qu’il ait gardé sur les murs de son hôtel le portrait inachevé. Lorsqu’il se décida à le faire graver, il prolongea la composition par des drapés dont le style est typique des dernières années de son art. La nouvelle composition sera a son tour gravée par Johann Georg Wille en 1743 qui l'enchassera dans une fenêtre de pierre agrémenté d'un savant drapé. Ce « portrait en grand de lad. Feue de Élisabeth de Gouy, mère de lad. Dlle Le Juge peint par ledit feu S. Rigaud sur une toile de quatre francs dans sa bordure dorée » sera remis le 28 juillet 1744 à Marguerite Charlotte Le Juge du Coudray, belle-fille de Rigaud avec « un autre petit portrait en mignature de lad. feue D. mère de lad. Dlle Le Juge dans une petitte boite de chagrin à charnière et petits bords d’or fermante à ressort avec une petitte glace au devant » (Paris, archives Nationales, minutier central des notaires parisiens, étude LXXIX/44).

L'esquisse sur toile de la bordure du portrait de Marguerite Élisabeth, reproduite par Wille dans son estampe, semble avoir été remise à l'unique et principale héritière de l'artiste, Marguerite Élisabeth Rigaud, veuve du peintre Jean Ranc et nièce d'Hyacinthe Rigaud. L’Arresté de compte ensuitte de l’exécution testamentaire de ce dernier, dressé entre le 6 février et le 26 mars 1745, témoigne de ce legs1 : « […] ledit portrait de la feue dite épouse du Sr Rigaud peint par luy d’après laquelle dite planche a esté gravée par le Sr Will, ensemble l’esquisse en toile sans bordure du cadre de l’estampe qui a esté gravée d’après ledit portrait. Ont été remis par le Sr Billeheu à la dame Ranc comme portraits de famille ».

Les registres de Saint-Roch (publiés par Jal) mentionnent ainsi le décès de madame Rigaud : « Élisabeth de Gouix mourut le 15 mars 17432, rue Louis le grand, âgée d'environ 75 ans. Elle fut inhumée aux Jacobins en présence d'Hyacinthe de Vermont et de Louis Billeheu, notaire ». Son inventaire après décès fut réalisé le 28 novembre 1743. Le procès-verbal d’apposition des scellés, après le décès de Rigaud, donne la date du contrat de mariage le 19 mai 1710 (Maître Cosson, notaire), sous le régime de la séparation des biens car « l’épouse ne possédait rien ». Rigaud précisera lui-même que « son épouse n’avait pas de bien ; il ne l’a prise que pour son mérite personnel » et déclare que la succession de la défunte ne consistait que dans ses hardes et linge en petite quantité, le tout enfermé dans une armoire en bibliothèque placée dans l’antichambre ; tout le reste du mobilier lui appartenant. Mademoiselle de Gouy avait au moins deux sœurs lors de l’apposition des scellés : Nicole de Gouy, veuve de Jean Éléonor de Riberolles (mort en 1726) et Genevière-Angélique de Gouy (décédée à cette époque), épouse de François Modeste du Perron de Castera (mort avant 1731). Le fils de ce dernier couple, Louis-Adrien du Perron de Castera (Paris, 1705 – Varsovie, 28 août 1752) était d’ailleurs présent avec sa tante lors de l’apposition des scellés3.

Le 23 mars 1743, une nièce de Marguerite Élisabeth de Gouy, Nicole Darroy, veuve de Jean-Charles Giroux, bourgeois de Paris, fait opposition comme héritière de sa tante. Ce fut le 4 novembre seulement, car elle était absente, que la demoiselle Le Juge faisait constater ses droits de seule héritière et en conséquence faisait annuler les prétentions des autres parties. La femme de chambre de Madame Rigaud se nommait Marie-Madeleine Desjambes. On trouve plus loin la trace de la comparution de Me François-Robert Aubin de la Forest, procureur de Wille, « lequel a dit que les causes de l’opposition par luy formée à nosd. Scellez sont pour être payé de la somme de 2 000 livres à luy due pour avoir gravé d’après led. Feu s. Rigaud, et par son ordre, le portrait de la feue dame Rigaud, son épouse, il y a environ six mois ». Dans le 4e chapitre de l’Arrêté de compte ensuite de l’exécution testamentaire, cette somme semble avoir été ramenée à 1800 livres « après estimation par le Sieur Daullé graveur du Roi et de l’Académie Royale et Schmidt graveur à Paris nommés à cet effet ». Les responsables de la levée des scellés notent enfin : « Nous avons aussy levé et ôté les scellés apposés sur les deux volets d’une armoire de bois noircy à filets de cuivre étant dans l’antichambre dud. appartement de lad. dame deffunte, de laquelle ayant été faite ouverture, s’y sont trouvés plusieurs hardes et habits que le s. Geoffroy nous a déclaré appartenir entièrement à la demoiselle Margueritte-Charlotte Le Juge, fille majeure, demeurant au bourg de Saint-Pierre-de-Montchamp, en bas Poitou, diocèse de Luçon, en qualité de fille unique et seule héritière de feue dame Elisabeth de Gouy sa mère, à son déceds épouse non commune en biens dud. Feu s. Rigaud, avant veuve de M. Jean Le Juge, huissier au Grand Conseil, et être totalement compris et inventoriés en l’inventaire fait après le déceds de lad. dame Rigaud […] ».

 


1Paris, Archives Nationales, Minutier Central des notaires parisiens, Etude LXI, liasse 318.

1e chapitre ; Paris, Arch. Nat., Minutier Central, ET, LIII, liasse 319.

A. James Sarazin, l'inventaire après décès de Rigaud, B.S.H.A.F,, 2009, p. 137, note 239.

A Unique and extremely important collection of autograph letters of the world's greatest painters of the XVth, XVIth, XVIIth and XVIIIth centuries

2Le samedi 16 mars dans la matinée selon Guiffrey.

3Résident de France à Varsovie, moine cistercien du couvent Santa Maria de Alcobaça au Portugal, Louis-Adrien du Perron de Castera a publié des romans (Aventures de Léonidas et de Sophronie, 1722 ; Le théâtre des passions et de la fortune ou les Amours infortunés de Rosamidor et de Théoglaphire, 1731), une comédie (Le phenix, comédie en un acte, avec un Divertissement, par M. de Castera. Représentée pour la premiere fois par les Comédiens Italiens Ordinaires du Roi, le mardi 5. novembre 1731, Paris, Briasson, 1731) puis des traductions : Les amours de Leucippe et Clitophon / traduites du grec d'Achilles Tatius, avec des notes historiques et critiques, par Louis-Adrien de Perron de Castera (1733), La Lusiade du Camoens : poeme heroique sur la découverte des Indes Orientales (1735), Le Newtonianisme pour les dames ou entretiens sur la lumière, les couleurs et l’attraction, traduit de l’italien de M. [Francesco] Algarotti par M. DuPerron de Castera, Paris, Montalant (1738) ainsi qu’un volume de Théâtre espagnol, avec des fragments traduits de Lope de Vega (1738). On lui doit aussi une Histoire du Mont Vésuve, avec l'explication des phenomenes qui ont coûtume d'accompagner les embrasements de cette montagne. Le tout traduit de l'italien de l'Académie des sciences de Naples. Par M. Duperron de Castera, Dédié à Monseigneur le Dauphin, Paris, Huart, 1741. Voir Michaud, Biographie universelle, ancienne et moderne, Paris, 1814, XII, p. 264.

4Paris, archives nationales, minutier central, étude LXXIX, liasse 44.

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Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan