ANONYME

Catégorie: Portraits
Année : 1702

 

P.771

Huile sur toile
H. 132 ; L. 109.
Collection particulière.

Signé bas à droite : « fait par Hyacinthe / Rigaud 1702 ».

Historique :

Absent des livres de comptes en l’absence d’identification ; peint en 1702 ; vente Paris, hôtel Drouot, 15 juin 1911, lot 74 ; vente Claudon, Paris, 23 juin 1926, lot 47 ; ancienne collection Henri Leroux, Paris, 1937 ; sa vente Paris, Palais Galliera, 23 mars 1968, lot 79 ; vente Paris, Christie’s, 8 novembre 2005, lot 323 ; Rome, collection particulière ; vente Sotheby’s Londres, 28 janvier 2016, lot. 327.

Bibliographie :

Morel d’Arleux, 1820, n° 609 [dessin] ; Granet et Isabey, 1840, n° 1255 [dessin] ; cat. gal. Seligmann, 1936, n° 38 ; Gallenkamp, 1956, p. 350 [=Claude Pécoul] ; cat. gal. Drouin, 1943, n° 56 ; O’Neill, 1984/1, p. 193, note 27 [dessin] ; Méjanès, 1987, p. 28 [dessin] ; Coquery, 1997, n° 95, p. 138 [J.-F. Méjanès], p. 246 [dessin] ; Brême, 2000, p. 42 [dessin] ; Sanguineti, 2001, p. 42 ; Boccardo, Di Fabbio et Senechal, 2003, p. 205-219 ; Perreau dans cat. Christie’s, 2005 [=Roncovieri ?] ; Sanguineti, 2011, p. 32-33 [=Paolo Girolamo Pallavicino (*P.790)] ; Perreau, 2013, cat. P.771, p. 173 ; Sanguinetti, 2016, p. 25 [=Paolo Girolamo Pallavicino ?] ; James-Sarazin, 2016, II, cat. P. 795, p. 270 [inconnu (2003/2, cat. I, n°675).

Expositions :

Paris, Galerie André Seligmann, 1936, n°38 ; Paris, Galerie Drouin, 1943, n°56 ; Paris, Galerie Charpentier, 1952, (selon une étiquette au dos), n°94. 

Œuvres en rapport :

  • 1. Pierre noire, estompe, pastel et lavis de gouache blanche sur papier bleu. H. 37,3 ; L. 28,4. Paris, musée du Louvre. Inv. 32726. Annotation à la pierre noire : « Hyacinthe Rigaud ». Ancienne Coll. de Bourgevin Vialat de Saint-Morys ; saisie des biens émigrés en 1793 ; remis au Museum central en juin 1796 (ancienne marque : L. 2207) ; inventaire manuscrit de Louis Morel d’Arleux, premier conservateur du cabinet des dessins (VIII, n°10877, Rigaud/Emigrés). 

Descriptif :

Malgré une réunion idéale d'éléments susceptibles d'identifier ce portrait (une toile datée et signée et son dessin correspondant), ce portrait énigmatique continue de diviser les experts. Reprenant à son compte une posture que l'on retrouvera dans le portrait du marquis de Dangeau en 1702 et dans celui, plus tardif, de Jules-Robert de Cotte, il présente un homme mûr, debout devant un mur orné de pilastres à fûts cannelés, un bonnet d'intérieur sur la tête, posant l'une de ses mains sur un velours recouvrant une table à gauche de la composition.

En se penchant sur l'étude du dessin correspondant conservé au Louvre, Morel d’Arleux l'avait identifié à tort comme un autoportrait de Rigaud, sans doute à cause de la présence du bonnet que l'artiste portait dans son autoportrait dit au turban : « dessin terminé pour la gravure qu’en a fait P. Drevet ». Aucune estampe correspondante n’a pourtant survécu pour attester cette interprétation. Même si la ressemblance pouvait tromper le spectateur[1], il ne pouvait s’agir de la figure du portraitiste. La toile fut cependant longtemps considérée comme telle.

Frédéric Reiset, dans le second inventaire du cabinet des dessins du Louvre identifie ce personnage comme le graveur Nicolas Pecoul, actif à la fin du XVIIe siècle. L’iconographie du graveur dément pourtant cette attribution. Une gravure de François Chéreau (1700) réalisée d’après un tableau de Robert Tournières (qui officia d’ailleurs dans l’atelier de Rigaud) et figurant le maître de ballet Louis-Guillaume Pecourt représenté coiffé d’un bonnet d’artiste dans une attitude reposée, aurait pu être une bonne alternative mais les traits sont trop éloignés de notre toile. Nous pensons qu’il ne peut pas non plus s’agir du portrait du « sieur Lafitte », bailli de Perpignan, beau-frère de Rigaud, comme on l’a parfois avancé, peint au sein du triple portrait de la famille Lafitte en 1695 : bien que l’on retrouve ici, et de manière similaire, un visage charnu, un menton proéminent, un nez fort et aquilin, des yeux étroits surmontés de sourcils fournis et régulièrement cintrés sous un front haut, le goitre et le gros grain de beauté sur le nez semblent étrangers à ce dernier personnage.

Hyacinthe Rigaud n’ayant signé à même la toile que très peu de ses œuvres, et souvent les plus importantes, nous serions tentés de croire que le modèle ici représenté était d’un certain rang. En effet, les dates généralement inscrites au dos des œuvres connues et donnant également le nom de son auteur, étaient bien souvent de la main d’aides d’atelier ayant officié aux côtés du maître. Cette pratique était destinée à dater un archétype particulier (et d’en déduire le prix) comme l’atteste Antoine Dezallier d’Argenville : « un étranger étant venu demander le portrait de son père que Rigaud avait peint il y avait plus de 40 ans, il le conduisit dans une salle où étaient plusieurs anciens portraits, & lui dit de les examiner : l’étranger reconnu le portrait, ouvrit sa bourse, & le peintre ayant regardé derrière la toile l’année dans laquelle il avait été fait, ne lui demanda que 50 livres, prix qu’il exigeait en ce temps là : l’étranger fut extrêmement surpris de cette bonne foi ».

Dans un récent article sur les relations entre la France et la République de Gênes, Ariane James-Sarazin a tenté, en reprenant les déductions de Daniele Sanguinetti, d’identifier le modèle du dessin comme Giacomo Lomellini, envoyé à Paris en qualité de ministre résident du 8 mai au 20 septembre 1694, fils de Filippo Lomellini et de Maddalena Gentile. Nous pensons qu'il faut se garder de conclure en ce sens, compte tenu de la date de la présence de Lomellini à Paris et d'une une mise en parallèle de l’iconographie du marquis d’après Vitale.

Si l’on tentera de rapprocher cette vaste composition d’un éventuel portrait inscrit aux livres de comptes[2], on écartera d’emblée ceux payés 150 livres et correspondant à de simples bustes. En cette même année 1702, rappelons que Rigaud réalise le splendide portrait à mi-corps de Philippe de Courcillon (1638-1720), marquis de Dangeau, que le modèle paye 600 livres. De même, les effigies aux genoux de Jean-Baptiste Du Casse et de Frédérik Walter, atteignent aisément par leur ampleur la somme de 500 livres. Les dimensions du présent tableau ont sans aucun doute impliqué un prix similaire.

Le fait que Rigaud figure ici son modèle dans une attitude ostentatoire mais proche de celle qu’il aurait pu choisir pour un artiste, pourrait nous orienter vers le portrait de l’envoyé de Parme, simplement mentionné au titre des copies de 1702[3]. Quoi qu'il fut avant tout un homme d'église (et en ce cas pourquoi aurait-il souhaité un habit civil ?), Alessandro Roncovieri (1642-1711), originaire de Piacenza, était un scientifique renommé doublé d’un homme de lettre et d’un poète ; ce qui expliquerait la liberté et la verve du vêtement ainsi que le bonnet d’artiste très proche de celui du portrait de Fontenelle, peint également en 1702. En l’absence d’une iconographie comparative, il nous semble plausible de voir ici le portrait de ce personnage, mais avec les réserves qui s’imposent.

Pour terminer, nous écarterons, en cette année 1702, la possible effigie d’André-Pierre Hébert [4]. En effet, Hébert n’eut sans doute pas manqué de se faire représenter dans son habit traditionnel et largement plus austère de magistrat. De même, les 500 livres exigées pour un portrait d’un certain « M[onsieu]r Chauvelin »[5], identifié à tort comme Germain-Louis Chauvelin, marquis de Grobois (1685-1762) par Roman et que nous rendons plus probablement à son père, Louis III Chauvelin, devait sans doute figurer un avocat au parlement. Les nombreuses lacunes des livres de comptes de Rigaud, ne doivent cependant pas écarter la possibilité d’un modèle inconnu, non référencé par l’artiste et/ou ses aides…

Malgré les hypothèses de O’Neill qui pense que le dessin correspondant à la toile est l’œuvre d’un copiste ou d’un graveur et simplement retouché par Rigaud, André Le Prat a constaté qu’il semble avoir été rehaussé au pastel, parfois laissé en poudre pure (reflets lumineux légèrement rosés) ou humidifié pour rendre cette poudre plus compacte afin de décrire plus vigoureusement les parties dans l’ombre. Il s’agit d’une technique propre à un peintre plus qu’à un graveur.


[1] La physionomie à cette époque des hommes coiffés d’un bonnet, « à l’artiste » se retrouve souvent.

[2] Roman, 1919, p. 83 et suivantes.

[3] Roman, 1919, p. 97.

[4] Roman, 1919, p. 94, 134, 135, 136.

[5] Roman, 1919, p. 93, 98.

Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan