P.sup.8
Huile sur toile ovale
H. 83 ; L. 65 cm
Narbonne, musée d’art et d’histoire. Inv. 09-1-1
Historique :
Paiement absent des livres de comptes ; Narbonne, propriété de l’archevêché avant 1789 ; acquis de la commission des hospices de la ville en 1909 pour 150 Francs ; don de la commission archéologique en 1909.
Bibliographie :
Berthomieu, 1923, cat. 264, p. 97 (comme école française du XVIIIe siècle, portrait homme) ; Lepage, 2009, n°415, cat. LB n°264, p. 156, repr. (comme portrait d’homme, entourage de Jean Ranc) ; Perreau & Stpanoff, 2020, p. 62-63.
Expositions :
2020, Montpellier, n°10 (notice de Stéphan Perreau).
Descriptif :
Restauré en 2006, cet extraordinaire portrait d’homme au manteau rouge a longtemps soulevé de nombreuses interrogations. Qui représentait-il ? Qui avait pu le peindre ? Et à quelle occasion ? Les questions ne manquent toujours pas auxquelles diverses traditions n’ont pu véritablement répondre. Sa présence au musée de Narbonne aux côtés du portrait d’Antoine Ranc par Rigaud [cat. 8], leur cadrage plus ou moins voisin et, surtout, le positionnement du corps et de la tête, insufflèrent l’idée d’une certaine parenté. Une mélancolie conjointe dans le regard, un nez et un menton un peu fort dans les deux cas, un sillon naso-labial ou philtrum prononcé chez l’un comme chez l’autre ; il n’en fallait pas moins pour créer inconsciemment un lien tenace.
Extraordinaire, le portrait l’est à plus d’un titre, ne serait-ce par sa taille, légèrement plus grande que les standards de l’époque pour ce type d’objet (81 x 65 cm). La remarque n’est pas anodine car, avec l’imposante bordure en bois sculpté et doré, l’ensemble en devient monumental. Extraordinaire également par la qualité du rendu psychologique du visage de cet homme qui semble être entré dans la quarantaine, comme le montrent les nombreuses rides qui ourlent ses yeux et ses paupières supérieures. Aisément datable des années 1710-1715, par le style de la perruque dont les hautes cheminées se rejoignent par deux boucles au sommet, il pourrait tout à fait correspondre à l’âge qu’avait Ranc à cette époque. Dans tout état de cause, il adopte une posture assez commune chez tous les portraitistes du siècle mais qui, selon son ordonnance, appartient sans conteste au vocabulaire d’Hyacinthe Rigaud dont fera usage Ranc. En buste, de profil à droite, la tête retournée presque de face et légèrement inclinée, le visage imberbe, sous une grande perruque grise, l’homme revêt un grand manteau aux plis complexes, ouvrant sur un col de chemise en dentelle laissé libre. L’agencement des drapés du vêtement, comme celui du retroussis de brocard, confine à celui des portraits de Jean Louis de Roll Montpellier, peint en 1713 (Localisation actuelle inconnue), ou de Jean-Baptiste Louis Picon d’Andrezel (perdu), connu par la gravure François Chéreau, eux-mêmes puisant leur récurrence dans des prototypes établis dès 1710. Mimétiques mais jamais tout à fait les mêmes, les plis de l’inconnu de Narbonne ne réussissent pourtant pas à correspondre à un prototype bien particulier du maître Catalan, expliquant peut-être le fait que le tableau n’ait pas été inclus aux différents catalogues raisonnés de l’artiste. « Ses ouvrages ont cela de remarquable qu’ils plaisent également de loin comme de près, parce que le beau fini n’en ôte pas l’effet », nous rappelait en 1744 le son filleul, le peintre Hyacinthe Collin de Vermont. Ici, l’état d’ébauche, ou d’inachèvement d’une grande partie de la couche picturale étonne et séduit. C’est particulièrement le cas dans le grand manteau de velours dont les arrêtes des plis portent de grands badigeons de lumière sans fondu et dont les teintes varient du blanc au gris-bleu, après être passées du rose à l’orangé. L’effet visuel est saisissant, presque dérangeant mais jamais gênant, accentuant la vibration de la lumière dans des colori cangianti très saturés. Ça et là, transparaissent encore les grands traits d’esquisse préparatoires au dessin de l’attitude, principalement dans les creux matérialisant les plis, sur l’épaule et dans certaines boucles de la perruque.
Même en l’absence de représentation des attributs du peintre, l’impression générale qui découle du tableau de Narbonne induit, selon qui le regarde, le sentiment impressionniste d’une effigie d’artiste. Il y a peut-être donc du Jean Ranc dans cette énigmatique image, sans doute moins autoportrait que portrait, mais telle qu’elle aurait pu représenter un portraitiste au fait de son talent. À ce jeu pourtant, d’autres toiles pourraient tout autant prétendre à devenir l’effigie du Montpelliérain, ne serait-ce ce portrait de jeune homme au manteau rouge, à la chaconne dénouée, affublé certes d’un léger embonpoint mais dont l’absence de rides pourrait correspondre à un jeune artiste tout juste passé la vingtaine. Peint durant les dernières années du XVIIe siècle, l’œuvre possède une réplique qui circulait encore sur le marché madrilène en 1841 comme autoportrait d’Hyacinthe Rigaud, avant d’être acquise par le Museo de Arte de Cataluna de Barcelone qui rendit son modèle à l’anonymat[1]…
[1] Huile sur toile, H. 65,4 ; L. 53 cm, inv. 024233-000 dans Catalogue du musée Nacional de Arte, Barcelone, 1936, n°38.