PC.1030
Huile sur toile ovale
H. 93,5 ; L. 65 cm
Gênes, Galleria Nationales du Palazzo Spinola
Sign. v° : « Hyacinthe Rigaud à peint a Paris 1709 ».
Historique :
Paiement inscrit aux livres de comptes en 1709 pour 150 livres (ms. 624, f° 29 : « M[onsieu]r le comte Genty envoyé de Genne ») ; Milan, Collection particulière ; vente Milan, Ponte Casa d’Aste, 10 octobre 2012, lot 454 ; acquis par le musée à cette date.
Bibliographie :
Roman, 1919, p. 144, 155, 166 ; Sanguineti, 2001, p. 43 ; James-Sarazin, 2003/3, p. 211 [=marquis Imperiali] ; Sanguineti, 2011, p. 36-37 ; Perreau, « Ces Gentilshommes de Rigaud », [en ligne], 21 mai 2012, www.hyacinthe-rigaud.over-blog.com ; Perreau, « Le portrait d’il eccellentissimo signor Stefano Gentile par Hyacinthe Rigaud », [en ligne], 8 octobre 2012, www.hyacinthe-rigaud.over-blog.com ; Perreau, 2013, cat. PC.1030 ; James-Sarazin, 2016, II, cat. P.1084, p. 362_363 (2003/2, cat. I, n°884).
Copies et travaux :
- 1710 : Baileul reçoit 10 livres pour avoir « habillé M[onsieu]r l’envoyé de Gennes » (ms. 625, f° 26 v°).
- 1712 : Bailleul reçoit 12 livres pour avoir « habillé l’envoyé de Gènes hors la cravatte » (ms. 625, f° 30).
Œuvres en rapport :
- 1. Huile sur toile, suiveur de Rigaud. H. 81 ; L. 64,5 cm. Ancienne collection Olivari (Gênes, Archivio fotografico del Servizio Beni Culturali del Comine di Genova, n° 8063).
Descriptif :
Jusqu’ici conservé dans une collection privée piémontaise, le portrait du comte Gentile n'était connu des chercheurs que par une photographie ancienne conservée au centre de documentation des archives culturelles de Gênes. L’œuvre, que nous avions également présenté dans un récent article, fut publiée pour la première fois en 2001 par le professeur Daniele Sanguineti[1]. Elle porte au dos une signature et une localisation de l’atelier de l’artiste, prouvant qu’elle était bien destinée à un client étranger : « Peint par Hyacinthe Rigaud à Paris 1709 ». Cette indication et son lieu de conservation avaient donc très vite permis à son « inventeur », d’identifier le modèle comme étant Stefano Gentile (mort en 1711), envoyé extraordinaire de la République de Gênes à Paris de 1705 à 1709, dont le paiement du portrait est répertorié dans les livres de comptes de Rigaud à la date de 1709 : « M[onsieu]r le comte Genty envoyé de Genne » pour 150 livres[2].
Sanguineti avait également redécouvert, dès 2000, une copie du portrait de Stefano Gentile (qu’il jugeait avec raison nettement moins qualitative), sans doute exécutée par un artiste Italien qui avait néanmoins repris avec une certaine précision la cicatrice labiale supérieure droite du modèle[3]. A l’occasion d’une récente étude sur les portraits génois de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècles, l’historien de l’art revenait il y a peu sur ce détail anatomique[4], précisant qu’il ne pouvait s’agir, comme on avait pu le lire dans une publication de 2003, du portrait du marquis Imperiali peint par Rigaud en 1699[5]. Comme nous l’avons montré dans notre article sur les « gentilhommes de Rigaud », la vêture employée ici est classique, idéalement enveloppante, montrant le modèle habillé d’un large manteau aux plis efficacement agencés. Elle fut élaborée selon le principe de l’habillement répété comme le montrent les comptes de Rigaud qui résonnent encore des participations de l’aide d’atelier Claude Bailleul. Ce dernier fut payé à rebours, en 1710 puis en 1712[6], pour avoir habillé le buste, hormis la cravate. Le comte Gentile (ou le marquis selon les sources écrites), paya également à Rigaud la même année un buste de son épouse, Maria Teresa Pinelli, Comtesse Palatine, Marquise de Cività Sant’ Angelo (m. 1709), d’un format sans doute similaire compte tenu des 150 livres encaissées. Si le portrait est aujourd’hui non localisé, on suppose que son ordonnance devait être plus complexe que celui de son époux, nécessitant ainsi la participation de deux aides. Dès 1708, l’aide Delaunay avait en effet reçu sept livres pour avoir « habillé Made l’ambassadrice »[7] et, l’année suivante, Bailleul avait poursuivi le travail sur le vêtement tout en ébauchant même la tête[8].
Les Gentile se munissaient ainsi de deux portraits pensés « en pendant » et d’un effet visuel sans doute saisissant, à l’instar de ces deux ovales anonymes conservés en collection privée génoise. Si selon nous ils sont nettement imputables à l’art d’un Domenico Parodi (1668-1740) ou d’un Giovanni Enrico Vaymer (1665–1738), ils singent de manière confondante des habillements inventés à Paris par Hyacinthe Rigaud. C’est notamment le cas du portrait masculin qui reprend l’habillement du portrait de Nicolas Le Baillif dit « Mesnager » (1658-1714), peint en 1698 pour 140 livres[9].
D’une ancienne famille génoise dont plusieurs branches firent souche en Corse, Stefano Gentile, sénateur de Gênes dès 1694, avait hérité de ses aïeux de solides qualités de négociateur. Son père, Costantinio et son grand-père Gio Andrea, s’était en effet déjà illustrés dans des missions diplomatiques, notamment à la cour d’Espagne[10]. Le caractère avenant de Stefano, ainsi que ses qualités le firent choisir du corps électoral pour représenter sa cité auprès de Louis XIV. La belle-sœur du roi, lorsqu’elle le vit à Versailles s’ouvrit le 4 octobre 1706 à l’abbé Guillaume Dubois de l’effet que fit sur elle cet Italien : « Je trouve le comte Gentile si poli et si honnête, que je serrai ravie si on lui peut faire plaisir à ma prière »[11]. Les gazettes parisiennes s’en firent également l’écho tel le Mercure galant d’octobre 1708 : « Mr le Comte de Gentile est noble Genois, & sa Maison est des plus anciennes & des plus illustres d’Italie. Dame Blanche Maria Therese Pinelli, Comtesse Palatine, Marquise de Civita Sant Agiolo son épouse, est aussi noble Génoise, & sa Maison n’est pas moins illustre en Italie, que celle de Monsieur le Comte son époux. Leurs manières honnestes & engageantes, aussi bien que leur esprit, leur ont attiré icy depuis leur arrivée l’estime de tous ceux qui ont eu occasion de les connoistre particulièrement, & même des personne qui n’ont eu que le plaisir de les entendre parler en conversation. Enfin l’on peut dire qu’ils font généralement estimez de toute la Cour » (p. 111-114).
Stefano Gentile testa donc à Gênes le 2 mai 1696, devant le notaire Domenico Ponte, afin de mettre en ordre ses affaires[12] et, le 10 mars 1705 selon le marquis de Sourches, il se présenta à Versailles : « Le 10, le marquis Gentile, envoyé de Gènes, eut sa première audience du Roi dans son cabinet, et ensuite l'envoyé de Mantoue eut une audience secrète[13]. »
Le baron de Breteuil, célèbre introducteur des ambassadeur de Louis XIV, avait toutefois eu quelques difficultés à obtenir satisfaction de Gentile dont les manières lui semblèrent peu orthodoxes pour le protocole français. Dans ses Mémoires, il relate la Ruse du marquis Gentile, envoyé de Gênes pour se soustraire au cérémonial de 1705, passage qui fait entrevoir ce par quoi devaient passer les ambassadeurs de passage à Paris[14].
En octobre 1708, le Mercure Galant nous a laissé le récit du baptême à Versailles d’un fils des Gentile, montrant l’estime que Louis XIV faisait de l’ambassadeur : « Le fils de Monsieur Gentile, Comte de Tagliolo, Envoyé Extraordinaire de la République de Gènes, a esté tenu sur les Fonts par Monseigneur le Dauphin, & par Madame la Duchesse de Bourgogne. Il estoit né à Paris le 11 Juillet, & avoir este ondoyé le 18 à l’Hostel de Son Excellence par Mr Thiboust, Vicaire de Saint Roch. Voicy ce qui se passa le jour du Baptême qui fut fait le 29 Septembre. II fut mené à Versailles, & porté dans la Salle des Ambassadeurs, d'où il fut conduit par Mr de Saintot introducteur des Ambassadeurs, dans la Chapelle du Roy à l’issue de la Messe que Monseigneur le Dauphin & Madame la Duchesse de Bourgogne avoient entendue dans la Tribune, & après laquelle ce Prince & cette Princesse descendirent dans le bas de la Chapelle, où Mr le Curé de Versailles qui assista à la Cérémonie, avoit fait apporter les Fonts baptismaux. Cette Cérémonie fut faite par Mr l’Abbé d’Entragues, Aumônier du Roy, & ce jeune Seigneur rue nommé Louis, par Monseigneur le Dauphin. Plusieurs personnes de la première distinction s’y trouvèrent, & la Cour y parut, aussi brillante que nombreuse ; de manière que tout se passa avec l’éclat qui peut accompagner de pareilles Cérémonies, & ensuite Monsieur le Comte & Madame la Comtesse de Gentile, allèrent remercier Monseigneur le Dauphin & Madame la Duchesse de Bourgogne, de l’honneur qu’ils leur avoient fait ; & ce Prince & cette Princesse leur répondirent, qu’ils estoient ravis et avoir trouvé cette occasion de leur faire plaisir ; & Monseigneur ayant ajouté qu’il souhaitoit bien du bonheur a l’Enfant, Madame la Comtesse de Gentile repartit, son bonheur a commencé dés aujourd’huy. Cette réponse fut applaudie de tous ceux qui l’entendirent ; aussi doit on avouer qu’on n’en peut faire une plus spirituelle, en moins de paroles. Outre les marques de libéralité que les Parains & Maraines donnent en de pareilles occasions, & qui furent très grandes, Monseigneur envoya un très beau Brillant au jeune Comte à qui il venoit de donner son nom. »
Comme à ses compatriotes, le marquis Lomellini et le duc de Mantoue, Gentile reçut de Louis XIV un médailler de l’Histoire du roi avant de prendre congé le 3 septembre 1709 : « Ce jour-là, le marquis Gentile, envoyé de Gênes, vint dans les carrosses du Roi prendre son audience de congé ; il parla à Sa Majesté dans son cabinet pathétiquement, suivant le goût italien et ensuite il lui fit un petit compliment en français ; il parla aussi fort bien à la duchesse de Bourgogne et à Madame, Monseigneur et les princes étant absents »[15].
La marquise était préalablement morte à Paris, le 27 mai 1709[16] : « La comtesse Gentile, femme de l’envoyé de Gênes, mourut samedi à Paris, n’ayant été malade que deux jours. Elle tenoit une bonne maison à Paris, où la meilleure compagnie s’assembloit deux fois la semaine, et vivoit très magnifiquement ; elle y est fort regrettée. »
Quant à Stefano Gentile, il mourut à Gênes le 2 février 1711[17].
[1] Daniele Sanguineti, « Il ritratto di Suzanne Henriette d’Elbeuf di Rigaud a Genova : fortuna dei modelli francesi e indagine sulla ritrattistica genovese del Settecento », Suzanne Henriette d’Elbeuf, ultima duchessa di Mantova. Storia di un ritratto e della sua fortuna, catalogue de l’exposition de Mantoue, 21 décembre 2001 – 27 janvier 2002, Mantoue, Amici di Palazzo Te e dei Musei Mantovani, 2001, p. 55-56.
[2] Paris, Bibliothèque de l’Institut de France, ms. 624, f°29. Joseph Roman, Le livre de raison du peintre Hyacinthe Rigaud, Paris, 1919, p. 144.
[3] Gênes, coll. Olivari. CDAISG, Archives photographiques, n°8063. Daniele Sanguineti, « Sotto il segno di Rigaud : modelli, suggestioni e prototipi francesi nella ritrattistica di pimo Settecento a Genova », Bullettino dei Musei Civici Genovesi, 2000, 65, p. 28, note 1.
[4] Daniele Sanguineti, Genovesi in posa, Collana di Studi, Gènes, 2011, p. 36-37.
[5] Collectif, « Genova e il ritratto francese (1690-1740) », Genova e la Francia. Opere, artisti, committenti, collezionisti, Cinisello Balsamo, 2003, p. 211.
[6] Paris, Bibliothèque de l’Institut de France, ms. 625, f°26 v° (« habillé Mr l’envoyé de Gennes », 10 livres) ; ibid., f°30, 1712, « habillé l’envoyé de Gènes hors la cravatte », 12 livres. Roman, 1919, op. cit., p. 155, 166.
[7] ibid., ms. 625, f°24 v°.
[8] ibid., ms. 625, f°26, 1709 (« ébauché la teste de mad. l’envoyée de Gennes, un jor », 3 livres) & f°26 v°, 1710 (« habillé Mad. l’envoyée de Gennes », 10 livres). Roman, 1919, p. 142, 144, 149, 155.
[9] Stéphan Perreau, Hyacinthe Rigaud, le peintre des rois, Montpellier, 2004 , p. 44 [inédit] ; Sanguinetti, 2011, p. 36-37.
[10] Christoph Weber, Genealogien zur Papstgeschichte, Heisemann, Stuttgart, 1999, vol. 29, n°4.
[11] Dirk Van der Cruysse, La Princesse Palatine, Lettres françaises, Fayard, 1989, p. 313.
[12] Liana Saginati, « L’archivio dei Doria di Montaldeo, Registri contabili, manoscritti genealogici e pergamene », Quaderni del Centro di Studi e Documentazione di Storia Economica, Gênes, 2004, p. 101.
[13] Mémoires du marquis de Sourches, Hachette, 1889, vol. 9, p. 192.
[14] Le magasin de Librairie, II, Paris, 1859, p. 617-619.
[15] Mémoires du marquis de Sourches, Hachette, 1892, vol. 12, p. 52.
[16] Feuillet de Conches, Journal du marquis de Dangeau, Paris, 1857, t. 12, p. 424.
[17] Mercure de France, mars 1711, p. 106.