P.290
Huile sur toile
H. 204 ; L. 156.
Cherbourg, musée des Beaux-arts. Inv. 143
Signé et daté : « Fait par Hyacinthe Rigaud 1693 »
Historique :
Paiement inscrit aux livres de comptes en 1692 pour 526 livres et 15 sols (ms. 624, f° 7 v° : « Mons[ieu]r le comte de Morestin [rajout : Morstein] et sa fille »).
Bibliographie :
Du Pradel, 1692 (1878), I, p. 218 ; Roman, 1919, p. 30 et 198 ; Gallenkamp, 1959, p. 45-55 ; Coquery, 1997, p. 154-155, n° 81 et 82, p. 240 [James] ; Perreau, 2013, cat. P.290, p. 98 ; James-Sarazin, 2016, II, cat. P.323, p. 112 [avec la date de naissance en 1619 (2003/2, cat. I, n°256)].
Expositions :
Nantes-Toulouse, 1997-1998, n°81.
Œuvres en rapport :
- 1. Huile sur toile d’après Rigaud, H. 45 ; L. 36. Chartres, musée des Beaux-arts. Inv. S.R.M.S. 2995. Ancienne collection Camille Marcille. Sa vente, Paris, 6-9 mars 1876. Voir James-Sarazin dans le catalogue de l’exposition « Visages du Grand siècle » (Nantes-Toulouse 1997-1998, p. 240, n°82, repr. p. 154). Longtemps interprété comme le portrait de Jean-Baptiste de La Quintynie (1624-1688), jardinier du roi, sur la foi des Pavots, orangers et arbres du décor, accompagné de sa femme.
Descriptif :
« M. de Morstein, ancien grand trésorier de Pologne, avoit son hôtel, qui devint ensuite celui du maréchal d’Estrées, au coin de la rue des Saints-Pères et du quai des Théatins, aujourd’hui quai Voltaire. C’étoit un grand curieux en toutes choses. Ses jardins à Montrouge étoient magnifiques. Rigaud l’avoit peint avec sa fille, puis séparément [sic] » nous avoue en 1692 Abraham du Pradel.
C’est effectivement dans le parc de sa propriété de Montrouge que Rigaud a choisi de représenter Jan Andrzej de Morszstyn (1621-1693) accompagné de sa fille. Il tient en effet la main de la comtesse Izabella Catrina Morsztynówna (1671-1758) qu’il a promise au prince Kasimierz Czartoryski (1674-1741), duc de Klevan et grand cupbearer du duché de Lituanie. Ainsi, l’oranger représenté ici, symbole de virginité, annonce l’union prochaine, le 11 mai 1693. Le bouquet de pavots aux pieds de Morszstyn est une discrète allusion à la mort de son épouse, Catherine-Geneviève Gordon de Huntlej qu’il perdit en 1691 et qu’il avait épousée en 1659. Cette dernière était la fille de George Gordon, second marquis d’Huntly (mort en 1649) et d’Anne Campbell (morte en 1638).
Grand référendaire de la couronne de Pologne, favori du roi Ladislas IV, Morszstyn, comte de Morstin et de Châteauvillain, marquis d’Arc-en-Barrois fut chargé de plusieurs missions diplomatiques en Europe, notamment de proposer le trône polonais au prince Louis de Condé ou à son fils, le duc d’Enghien. Accusé lors de l’avènement de Jean Sobieski d’avoir trahi sa patrie, il se réfugie en France. Poète et traducteur exceptionnel issu d’une famille allemande implantée en Pologne depuis le XIVe siècle, il est né le 24 juin 1621 près de Cracovie (Sandomierz). Son père, riche propriétaire foncier riche, était Calviniste. Jan Andrzej se convertira plus tard. Il étudie à Lejda et, en compagnie de son frère, voyage en Italie et en France. Après son retour en Pologne, il devient courtier de la famille Lubomirski. Député au Seym (Parlement), secrétaire du roi (1656), il est nommé, en 1668, grand trésorier de la couronne. À l’occasion de diverses missions diplomatiques, Morszstyn se rend en Transylvanie (chez le prince Rakoczy), en Suède (auprès du roi Karl Gustav), à Vienne, à Berlin et à Paris. Il participe aux négociations avec les Suédois à Oliwa et est l’un des signataires du traité de paix qui en découle. Soutenu par la reine Louisa Maria, il a la faveur d’élire le successeur du Roi Kazimierz et, sur les conseils de la reine, il soutient la candidature du prince de Condé. Lorsque Jean III Sobieski rejoint le parti de l’Autriche, Morszstyn intègre l’opposition. Accusé par le roi de trahison, en entretenant une correspondance secrète avec l’ennemi, ainsi que divers abus financiers, il est sommé de s’expliquer devant le Parlement. Il quitte alors la Pologne et s’établit dans son domaine français. Morszstyn s’était toujours senti très attaché à la France, employé par Louis XIV comme envoyé extraordinaire, secrétaire du roi et grand trésorier de couronne. Il fut même fait sujet français, ce qui causa l’indignation de la noblesse. Morszstyn n’est jamais retourné en Pologne et meurt le 8 janvier 1693 à Châteauvillain.
La tradition a longtemps voulu que les modèles présentés sur cette double effigie fussent le jardinier du roi Pâris de Montmartel et son épouse. Roman datait même le tableau de 1724… Gallenkamp fut le premier à rétablir l’identité correcte du modèle. La mise en scène caractéristique du Rigaud des années 1690, correspond à une époque où l’artiste souhaita rivaliser avec la peinture d’histoire par le truchement de ses portraits et où il fixa les détails d’un répertoire qui fera son succès. Plus tard, il sera davantage attiré vers les modèles uniques, plus rapides à exécuter pour satisfaire la demande pressante. L’esquisse réduite du musée de Chartres a une signification bien précise, si l’on ne l’écarte pas de la main du maître. En effet, on sait, d’après le catalogue de la Vente Collin de Vermont (n°26 & 59) que le peintre avait réalisé des versions réduites sur toile des portraits de Louis XV et de Samuel Bernard, afin de garder auprès des différentes études de mains, d’accessoires ou de visage, le souvenir de compositions pouvant se révéler par la suite des exemples à imiter. Le tableau de Chartres appartient à cette catégorie, bien que l’on pourrait également y voir une copie d’un aide d’atelier d’après le portrait original de Cherbourg.
On renverra au portrait présumé du fils du comte, en 1697, et aux problèmes d’interprétation qui en suivent.