P.589
Âge du modèle : 19 ans
Huile sur toile
H. 80 ; L. 61 cm
Austerlitz, château de Slavkov. Inv. 124.
Signature rapportée au dos après rentoilage : « Hyazinthe Rigaut pinxit 1692 [sic] à Paris ».
Historique :
Paiement inscrit aux livres de comptes en 1698 pour 140 livres (ms. 624, f° 15 : « Mons[ieu]r le comte de Caunitx »).
Bibliographie :
Roman, 1919, p. 67 [f] ; Lossky, 1946, p. 33-36 [f] ; Perreau, 2013, cat. P.589, p. 142 [comme figurant Dominique André de Kauniz *P.309] ; James-Sarazin, 2016, II, cat. *P.612, p. 208 [identifie ici le modèle à Maximilian Ulrich de Kaunitz et relie le portrait conservé à Auzterlitz avec la mention en 1692 de l'effigie de Dominique André de Kauniz (P.342)] ; Perreau, « les Kaunitz à Austerlitz ou l'histoire retrouvée d'un Rigaud », 4 septembre 2018, http://hyacinthe-rigaud.over-blog.com/2018/09/les-kaunitz-a-austerlitz-ou-l-histoire-retrouvee-d-un-rigaud.html
Descriptif :
Suivant la tradition insufflée par Lossky puis reprise par différents historiens, nous avions à notre tour identifié le portrait conservé au château de Slavkov comme étant celui de Dominique-André, comte de Kaunitz (v. 1654-1705), représentant de l’empereur au traité de Ryswick [*P.309]. En effet, dans la mesure où l'on prêtait foi à la signature rapportée de manière apocryphe au dos du tableau de Slavkov après son rentoilage, le portrait du modèle aurait bel et bien été confectionné en 1692 et aurait donc été oublié des livres de comptes de Rigaud.
Comme nous l'ont démontré Zdenèk Kazlpka et Lilian Ruhe, avec qui nous avons longuement échangé au début de l'année 2017, la confusion alimentée par Lossky était d'autant plus grande que le tableau de Slavkov est encore conservé sur les cimaises du château aux côtés d'un autre portrait, figurant un jeune homme aux cheveux longs et habillé d'un beau manteau d'intérieur. Longtemps passé pour le premier des portraits des Kaunitz par Rigaud (voir Lossky), cette toile qui représente les traits de Dominique-André de Kaunitz « père », a été récemment fort justement rendue par l'historienne d'art Marie Mzykova au corpus de Jacob Ferdinand Voet (1639-1689) dont elle présente toutes les caractéristiques. Le fait que Voet ait peint le futur ambassadeur, n'a rien de surprenant surtout lorsque l'on sait que le peintre se trouvait à Rome entre 1663 et 1678, au même moment où le comte de Kaunitz, âgé de 19 ans, y effectuait une étape de son Grand tour européen, durant l'année 1672-1673. On conserve d'ailleurs encore dans les archives la trace à cette date d'un paiement fait par le jeune Dominique André le 8 mars 1673 de 28 guilders pour un portrait de cour, sans doute l'œuvre de Voet.
Il est donc aujourd'hui plus probable de voir dans l'œuvre tchèque, le portrait du fils de Dominique, Maximilian-Ulrich von Kaunitz (1679-1746), qui effectuait son Grand tour et vint à Paris en 1698 pour compléter son éducation diplomatique. On sait que notre modèle commanda son propre portrait à Rigaud car on conserve une lettre de lui adressées à son père, Dominique André de Kaunitz, écrite depuis Paris le 12 août 1698 et signifiant son intention d’obtenir du « fort abilhomme » Rigaud ou du peintre anglais Sir Goffrey Kneller, un portrait identique à celui qu'un autre artiste (Ferdinand Voet) avait fait quelques années plus tôt de son père. Dans une autre missive écrite à Bar-le-Duc le 27 octobre 1698, et afin d'obtenir une œuvre aux mêmes dimensions, il demanda qu’on lui envoie les mesures en fil (Lossky dit « string of that size [fil de cette taille] » et non en pieds (« insted of giving him the measurements in Moravian feet en thumbs » car cette dernière échelle de mesure n'était pas usitée en France (Archives du château, III/107).
La thèse est d'autant plus séduisante si l'on considère que l'ambassadeur Kaunitz était déjà bien plus âgé ue le personnage que devait avoir représenté Rigaud en 1698. Dominique-André devait en effet avoir près de 38 ans à cette date, ce que démontre bien la gravure que fit en 1697 Gérard Edelinck, d'après un portrait du modèle réalisé par l'artiste anversois François de Cock (1643-1709). L'ambassadeur y est figuré avec un fort embonpoint peu en rapport avec le tableau de Slavkov, et revêtu des insignes (cordon et grand manteau) de l'ordre de l'a toison d'or, dignité reçue en 1687, et que Rigaud n'eut pas manqué de représenter à la demande probable de son client. Notons à la suite de Zdenèk Kazlpka que Voet mourut à Paris en 1689, et fut inhumé dans l'église de Sainte-André-des-Arts, en présence de Pierre van Schuppen et de Gérard Edelinck...
Il y a donc tout lieu de remettre en doute l'authenticité de la signature apposée de manière apocryphe au dos de la toile moravienne. En effet, la tournure et l'orthographe (le mot « pinxit » notamment), sont totalement étrangers aux signatures autographes de Rigaud, laissant à penser que le transcripteur-rentoileur a pu librement interpréter une ancienne signature devenue plus ou moins lisible avec le temps, allant jusqu'à confondre les chiffres : 1698 devenant 1692. Le cas n'est pas rare, comme pour le portrait d'Antoine Anselme, pour que l'idée soit soutenue.
Si la posture et l'habillement présentés ici pouvaient effectivement faire penser qu'il s'agissait d'une œuvre des années 1690-1695, ces éléments ne peuvent à eux seuls déterminer un style que Rigaud reprendra plus tard, à l'instar du portrait du maréchal Jordan en 1699. La perruque de notre modèle, aux cheminées plus hautes que celle du général Greder, peint quant à lui en 1691, pourrait à elle seule justifier une datation plus proche du siècle, corroborant l'identification du portrait comme Maximilian-Ulrich, peint en 1698.
mise à jour 16 août 2017