*P.1330
Âge du modèle : 24 ans
Huile sur toile
Dimensions inconnues [buste agrandi avec une main]
Localisation actuelle inconnue
Historique :
Paiement inscrit aux livres de comptes en 1724 pour 1000 livres (ms. 624, f° 42 : « Un buste de M[adam]e La Comtesse de Platen habillée à l’allemande entièrement original p[ou]r M[onsieu]r le Chevalier Seaube [rajout :] c’est Schaub »).
Bibliographie :
Roman, 1919, p. 198 [f] ; Widauer, 2004, n° F. 984, p. 197 ; James-Sarazin, 2011/1, p. 58-59 ; Perreau, 2013, cat. *P.1330, p. 271-272.
Œuvres en rapport :
- 1. Pierre noire, estompe, rehauts de gouache blanche, traces de rehauts d’or, papier gris-bleu. H. 30,9 ; L. 24,5 cm. Vienne, Graphische Sammlung Albertina. Inv. 11928 (coll. A. von Sachsen-Teschen).
Descriptif :
Si Roman proposait « Anne Ehrentraut de Klitzing, femme de Nicolas- Ernest de Platen et mère de Henri de Platen qui fut conseiller intime du roi de Prusse » il convient de rétablir l'identité du modèle en voyant Amalie-Ernestine von Platen-Hallermund (1700-1767), « comtesse de l'Empire » [1], épouse en cette année 1724 de Louis Phélypeaux [*P.1336]. Le portrait de la comtesse résulte en effet d’un mariage dont la préparation fut précisément relatée en 1723 par Saint-Simon et fut assez particulier pour que les livres de comptes précisent qu'il était « à l'allemande ». Le modèle porte en effet des atours typiques de ceux portés sous le règne d'Henri IV et des Médicis, abandonnés depuis longtemps en France mais qui subsistaient en Espagne et surtout en Allemagne. La comtesse porte ainsi une fraise à godrons sur les épaules comme on le faisait dans des générations précédentes.
Le couple formé par Louis Phélypeaux (1672-1725), marquis de La Vrillière et Françoise de Mailly (1688-1742) était fort désireux d’ascension sociale. Madame de La Vrillière, dont l’époux avait rempli des fonctions de secrétaire d’État durant la Régence, n’arrivait pas à se persuader qu’elle garderait jusqu’à la fin de sa vie le simple nom de Madame de La Vrillière. Le couple s’était donc mis en tête d’obtenir le titre de duc et pair par l’intercession du cardinal Dubois à qui le duc d’Orléans ne pouvait rien refuser. Or, la mère de Mme de La Vrillière, « qui était Saint-Hermine et de Saintonge » avait gardé nombre de parentés calvinistes retirés dans les États de la maison de Brunswick. Rien n’était plus dans les esprits d’alors que de préserver une alliance entre la France et l’Angleterre et d’éviter une hypothétique guerre. Comme nous l’avions déjà évoqué à propos du portrait du Suisse Lucas Schaub [P.1307], le couple La Vrillière avait tissé d’étroits liens avec cet envoyé d’Angleterre et imaginèrent donc de l’utiliser pour arranger le mariage de leur fils avec la fille de l’ancienne maîtresse de l’électeur électeur de Brunswick-Lünebourg (Hanovre), Georg Ludwig 1er (1660-1727), désormais roi d’Angleterre depuis 1714 sous le nom de Georges 1er.
Schaub, séduit par Madame de La Vrillière, encore fort jolie, ne put rien lui refuser et déploya tout son talent de persuasion auprès du cardinal Dubois et du duc d’Orléans, pour faire valider l’union espérée en assurant que le roi d’Angleterre ne pensait plus qu’à ce projet et que, dans le cas d’un refus, une guerre serait à redouter. Notre modèle, belle et bien faite mais sans aucun bien « comme toutes les Allemandes », était la fille du comte Ernst-August von Platen-Hallermund (1674-1726), « souverain Seigneur et libre Baron de Hallermemden, premier Ministre et Grand-Chambellan héréditaire du Roi de la Grande-Bretagne en Hanovre » et de Sophia-Caroline Eva Antoinette von Offeln (1669-1729). Par cette alliance prestigieuse, le couple La Vrillière pourrait donc prétendre au titre de duc et pair. Saint-Simon, que la chose irritait au plus au point, tout épris qu’il était des convenances et de l’importance représentée par les titres de noblesse suprêmes, semble avoir été persuadé que le mariage échouerai. Pourtant, le 10 mai 1724, Amalie-Ernestine épousera bel et bien Louis Phélypeaux de la Vrillière.
Notons que la « récompense » espérée par les parents du marié ne fut par suivie d’effets, en partie à cause du décès de Dubois en 1723, et que ce n’est qu’en 1770 que leur fils l’obtiendra pour lui-même. Lucas Schaub, qui avait déjà déboursé 500 livres pour son propre portrait en 1721 puis 300 livres pour une copie de l’effigie du cardinal Dubois deux ans plus tard, poursuit donc ici son travail de courtisan en devenant le commanditaire du portrait de la jeune comtesse de Platen. Les 1000 livres qu’il concède au peintre, preuve de l’originalité de la pose, sont le témoin de son zèle. Sans doute offrit-il ensuite l’œuvre au couple La Vrillière ou à sa modèle en guise de cadeau de noces.
1. C'est ainsi qu'elle est nommée dans un acte de remboursement passé le 1er juin 1756 devant le notaire Charles Philippe Morisse (étude XCVI).