LAMOIGNON DE BASVILLE Nicolas de

Catégorie: Portraits
Année : 1718

 

P.1260 & P.1261

Âge du modèle : 70 ans

Huile sur toile
H. 138 ; L. 113.
Château d’Ormesson-sur-Marne (coll. comtesse André d’Ormesson).

Historique : 

Paiement inscrit aux livres de comptes en 1718 pour 1000 livres (ms. 624, f° 38 v° : « M[onsieu]r de Basville Cons[eille]r d’état [rajout :] Portrait jusqu’aux genoux attitude originale »).

Bibliographie :

Roman, 1919, p. 185 [f=« Barville »], 188, 189, 190 ; Antoine et Lanhers, 1960, p. 25 [Ormesson] ; Constans, 1995, II, p. 763, n° 4306 ; Brême, 2000, p. 68 ; Perreau, 2013, cat. P.1261, p. 254-255 ; James-Sarazin, 2016, II, cat. P.1330, p. 449-450.

Œuvres en rapport :

  • 1. Huile sur toile, H. 145 ; L. 113 cm. Collection particulière (ancienne collection Lize ; vente Paris, hôtel Drouot, 23 mars 1908, lot 37 ; coll. Albert Bloch-Levallois ; vente Paris, Gal. G. Petit, 25 mars 1924, lot 21).
  • 2. Huile sur toile d’après Rigaud, H. 138 ; L 113,5 cm. Versailles, musée national du château. MV4475 [=d’Ormesson].
  • 3. Huile sur toile, suiveur de Rigaud, H. 143 ; L. 112 cm. Château de Méry-sur-Oise, salon Ségur (ancienne collection Ségur-Lamoignon [=Lamoignon de Basville]).
  • 4. Huile sur toile, suiveur de Rigaud, H. 140 ; L. 106 cm. Château de Méry-sur-Oise, bibliothèque (ancienne collection Ségur-Lamoignon [=Lamoignon de Basville]).
  • 5. Huile sur toile ovale d’après Rigaud Inscr. : « Nic. De Lamoignon de Basville intendant de languedoc conser. Destat ordre ». Paris, Collection particulière (coll. Nicolay).
  • 6. Huile sur toile, suiveur de Rigaud (ovale feint posé sur un rebord de pierre), H. 130 ; L. 99 cm. Inscr. de part et d’autre de l’ovale : « NICOLAUS – BAVILLALUS ». En bas : « Gulielmi Lamonii Senatus principis filius Regi A/ Sanctioribus consilius pictonum Ac. Deinde / Volcarum provincus per annos XXXVI / Rei judiciariae Civilliarariae Militati praefect / unique studio religionis ingenii exclesitate. / Claritate eruditionis grande audidici Voribus / [...] incrementum posterim / exemplum [...] ». Loc. inc. (vente Paris, hôtel Drouot, Picard-Audap et cie, 6 juillet 1998, lot 47 [=« Nicaulaus Bavillaus », éc. fr . XVIIIe]).

Copies et travaux :

  • 1719 : « Une [copie] de M[onsieu]r de Baville [sic] pour Mad[am]e de Mopoux, sa petite fille » pour 500 livres (ms. 624, f°39 v°).
  • 1719 : La Penaye, reçoit 90 livres pour « une [copie] en grand de M[onsieu]r de Baville [sic] » (ms. 625, f° 33).
  • 1719 : La Penaye reçoit 5 livres pour avoir « ébauché la table A L’Original de M[onsieu]r de Baville » (ms. 625, f° 33).

Descriptif :

« Il n'y a, à priori aucune raison de remettre en doute l'identité du tableau original ». C'est en ces termes que nous ouvrions la notice de notre catalogue concis de 2013, consacrée à un vaste portrait de parlementaire, identifié par tradition familiale comme effigie d'Henri-François de Paule Lefèvre d’Ormesson (1681-1756) et dont l'original était conservé dans la collection du comte André d'Ormesson au château d'Ormesson-sur-Marne. Sortie de son contexte, et détachée des réserves de rigueur que nous formulions peu après, la phrase pouvait faire penser que nous étions convaincus de cette attribution. Il n'en est rien.

On verra à l'occasion de cette notice qu'une réattribution n'est pas toujours chose aisée. Comme nous nous en sommes ouverts à maintes reprises sur notre blog et dans le reste de la notice de ce tableau, nous avons pensé très tôt voir dans ce grand portrait les traits de Nicolas de Lamoignon de Basville (1648-1724), peint en 1718 et inscrit dans les comptes de l'artiste pour 1000 livres. Plusieurs raisons venaient à ce crédit : il suffisait par exemple d'estimer l'âge probable qu'aurait eu d’Ormesson en cette année 1718 (soit 37 ans) ou à une période plus tardive d'exécution du portrait, vers 1730 (c'est à dire 49 ans). On constate dans les deux cas que ces âges ne concordent pas avec les traits très vieillis que l'on peut voir sur l'œuvre conservée au château d'Ormesson. D'ailleurs, le seul apport attesté à l'iconographie de d’Ormesson, consistant en une estampe de Flippart d’après un tableau perdu de Joseph Vivien, se contente de le montrer assez jeune, affublé d'un visage fort peu caractérisé (donc peu exploitable pour un comparatif), à l'exception d'un nez busqué et aquillin que l’on retrouve dans l’œuvre du château d’Ormesson-sur-Marne, des sourcils marqués et une machoire supérieure nettement en retrait par l'absence probable d'une bonne dentition.

Le doute s'intallait plus encore en considérant les copies partielles du tableau que nous avions recensées (notamment celle de Méry-sur-Oise ou celle de la vente Drouot Picard-Audap du 6 juillet 1998), et qui indiquaient toutes ouvertement le modèle comme Lamoignon de Basville. Roman, qui avait tenté de localiser l’effigie peinte en 1713 d'un autre marquis de Basville, Chrétien II de Lamoignon (1676-1729), président à mortier au parlement de Paris, avait d'ailleurs choisi l’une des versions du d’Ormesson, sans remarquer cependant que la robe du personnage représenté n’était pas celle d’un président à mortier mais plutôt celle d’un conseiller au parlement ou celle d'un conseiller d’État. On peut cependant aisément comprendre ces méprises car les familles d’Ormesson et Lamoignon fusionnèrent avec Marie Félicité Henriette d’Aguesseau (1778-1847), dont la mère descendait de Lamoignon de Basville et le père du chancelier d’Aguesseau (lequel épousa la sœur de Lefèvre d’Ormesson). L’ensemble de l’iconographie des membres de ces familles se retrouve d’ailleurs à Méry-sur-Oise, et notamment la version du Lamoignon de Blancmesnil (frère du Lamoignon de 1713 et cousin du Lamoignon de 1718), ainsi que les époux d’Aguesseau, toutes copies d’après Tournières.

Le présent modèle est présenté assis dans un fauteuil à haut dossier muni d'accotoirs à décors d'enroulement de feuilles d'acanthe. Il tient dans l'une de ses mains une plume comme le feront respectivement en 1723 et 1727 le marquis de Grobois et le comte de Saint Fargeau. La parenté d'avec l'effigie de Grobois va même plus loin puisque l'on retrouve dans le tableau de la collection d'Ormesson, la même table à piètement sculpté à tête de faune, éléments cependant récurrent des grands formats de Rigaud pour les années 1715-1730. Au dessus de cette table décorée d'un nécessaire d'écriture, une lettre marquée « au Roy » est tendue d'une main ferme par le modèle, indice signifiant du fait qu'il ne recevait ses ordres que du souverain. Représenté jusqu'aux genoux, le modèle est assis à sa table de travail.

Nicolas de Lamoignon, était depuis 1697 conseiller d'État ordinaire dont il porte le vêtement caractéristique. Fils de Guillaume de Lamoignon (1617-1677) et de Madeleine Potier d'Ocquerre (1623-1707), il avait débuté comme avocat avant d'entrer au parlement de Paris comme conseiller en 1670, puis de devenir maître des requêtes cinq ans plus tard. Mais c'est surtout comme Intendant du Languedoc de 1685 à 1718, qu'il marqua l'histoire, loué autant pour l'efficacité de sa gouvernance que pour sa fermeté à l'égard des protestants de sa province. À l'époque où il est sensé solliciter Rigaud, Lamoignon a 70 ans et connaît quelques soucis de santé qui l'obligent à céder l'intendance du Languedoc à Louis de Bernage avant de revenir à Paris avec son épouse depuis 1672, Anne-Louis Bonnin de Chalucet (1645-1732). Notons que la fille cadette de Lamoignon, Madeleine (1687-1744) épousera en 1706 Michel Robert Le Pelletier des Forts, autre modèle de Rigaud en 1727.

Ces doutes raisonnables nous ont donc poussé à rencontrer le propriétaire du tableau, feu Monsieur le comte André d'Ormesson, lequel nous fit l'amabilité d'un très long et très instructif entretien en son chateau d'Ormesson-sur-Marne. La nature bienveillante de notre hôte, amoureux de ses collections, nous sembla inébranlable, surtout face aux arguments que nous ne tardions pas à avancer. En lui montrant quelques clichés d'autres versions du portrait de son ancêtre (celles de Méry-sur-Oise), il nous fit remarquer « qu'il n'y avait, à priori aucune raison de remettre en doute l'identité de son tableau », arguant de la présence sur les cimaises du salon dans lequel il nous recevait, de plusieurs autres tableaux de famille. Sur le même mur, trônait en effet l'effigie d'Olivier Lefebvre d'Ormesson (1616-1686), juge et rapporteur au célèbre procès Fouquet, conseiller d’État (1721), intendant des finances (1722), dont la vague ressemblance d'avec le « Rigaud » suffisait selon le comte à légitimer l'attribution de ce dernier. Les deux tableaux faisaient d'ailleurs face à une copie ovale de l'effigie de Madame d’Aguesseau, née d’Ormesson, d’après Tournières.

Face à nos interrogations qui lui paraissaient toutes nouvelles (aucun historien de l'art n'était auparavant « venu discourir [ce sont ses termes] pour remettre en doute la tradition »), Monsieur le comte regretta de ne pouvoir nous fournir de document venant à l'appui de cette tradition. Il parla même d'une signature autographe de Rigaud, qu'il avait vue semble-t-il avant la restauration récente de l'œuvre et qui devait être visible verticalement [sic], sur le côté gauche de la composition, derrière le fauteuil. Notre examen attentif de la toile in situ n'a cependant pas permis de corroborer cette information. Nous voyant peu convaincu par ses arguments, Monsieur le Comte d'Ormesson nous pria aimablemen cependant de ne pas « débaptiser le tableau ». Il termina l'entretien en nous dévoilant une composition inédite de Jean-Baptiste Santerre (1651-1717) qui, selon lui, montrait dans son faciès le lien physique des d'Ormesson. Dans un grand escalier, était en effet accroché un très grand portrait de jeune femme en robe volante, à demi couchée sur un rocher, dans un parc orné d'une forêt et une grande balustrade. Si tous les éléments de l'art de Santerre étaient bel et bien présents, forçant même l'émotion, le petit cartouche moderne glissé dans la feuillure de la bordure et donnant l'identité du modèle ne laissa pas de nous rendre perplexe : « Henriette Louise d'Ormesson (1747-1822) épouse en 1769 d'Anne Marie André de Crussol d'Uzès, marquis de Montausier ». On comprend immédiatement le double anachronisme entre un le style des années 1710, et un modèle ayant vécu une génération plus tard que Santerre.

En sortant de notre rendez vous, nous avions donc provisoirement accepté de conserver le portrait du comte comme d'Ormesson dans notre catalogue, en réservant fortement notre jugement dans l'attente d'une iconographie comparative plus précise.

Dans le cadre de la mise en ligne de notre notice, nous avons aujourd'hui préféré réunir la mention des livres de comptes du portrait de Lamoignon et le portrait dit de « d'ormesson », revenant à notre première intuition. De son côté, Roman identifiait l'item comme Louis-Robert de Barville (né en 1694), seigneur de Romainville, autre conseiller d’État. On pouvait cependant écarter cette hypothèse en considérant la copie à 500 livres produite par l'atelier de l'artiste en 1719, destinée à Anne-Victoire de Lamoignon (1696-1767), épouse René IV Charles de Maupeou (1689-1775) et petite-fille du modèle peint par Rigaud.

La seule véritable iconographie connue de Lamoignon, qui aurait pu aider à identifier le portrait de Rigaud, est une estampe assez moyenne de Nicolas Habert, le représentant en buste, en habit de parlementaire (Weigert, 1939, V, p. 170, n°69). L'aspect peu précis de la planche n'aide pas à s'assurer de l'exactitude d'une ressemblance, d'autant que le visage, anguleux au nez busqué et pointu, fait, selon nous, davantage référence au faciès du « présumé d’Ormesson » qui n'est pas sans rappeler les traits du père de Nicolas de Lamoignon, fixés par Nanteuil et gravés par Édelinck ou Masson. La date de 1716, inscrite au bas d'un exemplaire conservé à la Bibliothèque Nationale de Vienne (inv. Nr. PORT-00125596-01), ne cadre pas non plus avec l'âge qu'aurait eu l'Intendant (68 ans). On a pourtant tenté de faire un lien entre l'œuvre de Habert et celle d'une œuvre peintre par Jean Ranc (1674-1735) et conservée au musée Fabre de Montpellier (Inv. 828.3.2).

Si l'œuvre est incontestablement une production unanimement reconnue comme autographe de cet artiste, elle pose davantage de problèmes de concordance entre l'âge du modèle et celui du personnage représenté. Identifié comme Nicolas de Lamoignon par son ancien propriétaire, le peintre Jean Coustou (1719-1791), l'homme figuré ne semble pourtant pas être âgé de plus de trente ans ce qui ramènerait la confection aux années 1678-80. Or, à cette époque, Ranc était beaucoup trop jeune pour produire une telle œuvre qui évoque davantage, par comparaison avec d'autres portraits réapparus depuis, les années 1700-1715, soit la pleine période de maturité de l'artiste. Considérant que Nicolas de Lamoignon de Basville avait alors plus de 50 ans et que Coustou a probablement perpétué de bonne grâce la tradition d'un portrait d'un « Lamoignon intendant », l'effigie pourrait davantage selon nous correspondre au fils, Urbain Guillaume de Lamoignon de Courson (1674-1742). Membre des États de Languedoc et de la Cour des Comptes de Montpellier, conseiller et avocat au parlement de Paris (dont il porte ici la vêture caractéristique), il avait justement pris la tête, à 35 ans, de l'intendance de la généralité de Rouen en 1709. Prétexte probable à la commande à un peintre contemporain d'une belle effigie, ce nouveau poste allait le mener en 1720 à l'intendance de Bordeaux avant d'intégrer le conseil général des finances dix ans plus tard. Le livre ouvert au premier plan devenant une allusion directe à sa thèse soutenue à l'université de Montpellier en 1692 en la présence du roi du Danemark.

Il est intéressant de noter que la tradition a également donné à Rigaud un portrait du petit-neveu de Basville, l'intendant Charles René de Maupéou (1688-1775), et dont un exemplaire extrapolé en pied devant le coffre des sceaux royaux fut idendifé par Dominique Brême lors de sa vente comme une effigie de Chrétien II de Lamoignon de Basville (huile sur toile, Paris, hôtel Drouot, Tajan, 25 juin 2003, lot 51 ; anciennement dans la collection Casanova château de Courson[1]). Maupeou partagea avec son fils la charge de garde des sceaux, et, surtout, les mêmes attributs faciaux : gros sourcils tombants, petite bouche, nez long. Il en existe une autre version en buste au château de Bois-Dauphin au Précigné.


[1] Le tableau a été présenté à Paris en 2003, lors de l’exposition La Place Vendôme, art pouvoir et fortune (p. 172).

 

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Autoportrait de Hyacinthe Rigaud. Coll. musée d’art Hyacinthe Rigaud / Ville de Perpignan © Pascale Marchesan / Service photo ville de Perpignan